ƒƒƒ article de Denis Sanglard

© Philippe Lebruman

Les Chiens de Navarre sont de retour, les crocs affutés, et pètent la forme ! D’ailleurs ils font tout exploser et encore une fois ça dézingue à tout va… Trash et cash. Pas de quartier. L’amour, le couple, la fidélité –cette imposture – tout passe à la moulinette de ces chiens déchainés, libres de toute entrave, qui vous mordent férocement aux mollets. Les faux-semblants, l’hypocrisie du bonheur à deux même quand on s’ennuie ferme ensemble, qu’on se bat comme des chiffonniers, qu’on s’étripe… rien n’a de grâce à leurs yeux iconoclastes. Il y a d’abord ce Christ poisseux de sang, perché tout là-haut sur sa croix qui vous accueille comme on reçoit chez soi. Qui papote, interpelle, fait le point sur deux milles ans de chrétienté, prend la pose comme une midinette. Avant d’être descendu de là par deux machinistes encagoulés. Et on se dit que ça commence fort, très fort. Et ce n’est qu’un début. Tranches de vie bien saignantes servies sur le plateau, les séquences s’enchaînent, joyeux jeux de massacres hilarants et décapants. Il y a ces couples interrogés, psychothérapie de bazar, dont le bonheur affiché crânement accuse sacrément un sérieux coup de fatigue, dissimule à peine les lézardes conjugales. Une noce terrifiante qui vire au jeu de massacre. Entre accouchement prématuré, discours interminable (séquence grandiose) et partouze. Les premiers émois, la première fois où la libido se déchaîne et que s’élèvent, non les râles attendus, mais des chants arabes et juifs selon la position adoptée… Et nous ne sommes pas prêts d’oublier l’interprétation explosive et cynique de la chanson de William Sheller « Un homme heureux… » pendant qu’éclate une scène de divorce sanglante. C’est encore l’actualité qui termine ce chamboule-tout. Un sirtaki à poil… heureuse métaphore d’une situation qui nous pend sans doute au nez. Irrespectueux, les Chiens de Navarre ont cette heureuse distance, des trouvailles ad-hoc pour ne jamais tomber dans la caricature. De faux doublages, des bruitages, un réalisme toujours décalé, cette vraie/fausse improvisation qui vous plonge dans une réalité immédiate, une vérité où tout peut advenir, basculer dans l’imprévu, la folie. Et d’ailleurs tout ici, même le plus incongru, advient. Ils osent. Ils ont beaux être grossiers parfois, cul et bite à l’air souvent, rien n’est jamais vulgaire. Ou plutôt si, une vulgarité parfaitement assumée, bravache, jamais gratuite. Car ce qu’ils pointent d’un doigt moqueur c’est bien la nôtre de vulgarité, celle de nos sentiments faux, nos attitudes béates et formatées, notre bêtise crasse, notre misère sexuelle, affective, qui nous fait prendre des vessies pour des lanternes. Notre quête bornée du bonheur à tout prix, ce marketing matraqué à outrance. Notre peur de la solitude qui ne nous laisse pas le choix entre le suicide ou le mariage. Ce qui revient au même. La charge est féroce, au vitriol, énorme, mais foutrement, terriblement juste.

« Les armoires Normandes » création collective des chiens de Navarre
Dirigé et mise en scène par Jean-Christophe Meurisse
Assistante à la mise en scène, Amélie Philippe
Régie générale et création lumière, Stéphane Lebaleur
Création son, Isabelle Fuchs
Construction et régie plateau, FRançois Gauthier-Lafaye
Costumes, Elisabeth Cerqueira
Avec Caroline Binder, Solal Bouloudnine, Claire Delaporte, Céline Fuhrer, Charlotte Laemmel, Manu Laskar, Thomas Scimeca, Anne-Elodie Sorlin, Maxence Tual, Jean-Luc Vincent,
Avec la participation de Robert Hatisi

Du 3 au 22 mars 2015
Du mardi au samedi à 20h30, matinée les dimanches à 16h
Théâtre des Bouffes du Nord
37(bis) boulevard de la Chapelle
75010 Paris
Réservation, 01 46 07 34 50

www.bouffesdunord.com

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