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L’enfant brûlé, d’après le roman de Stig Dagerman, mise en scène de Noëmie Ksicova, au Théâtre de l’Odéon / Ateliers Berthier

Mar 01, 2024 | Commentaires fermés sur L’enfant brûlé, d’après le roman de Stig Dagerman, mise en scène de Noëmie Ksicova, au Théâtre de l’Odéon / Ateliers Berthier

 

© Jean-Louis Fernandez

fff article de Denis Sanglard

 

« On enterre une femme à deux heures (…) » ainsi commence le roman de Stig Dagerman L’enfant brûlé. Beng désormais orphelin de sa mère transforme sa souffrance, sa douleur en violence et la retourne contre ses proches, son père Knut, sa fiancée Bérit et bientôt contre la maîtresse de son père, Gun, sur laquelle il cristallise toute sa haine et très vite son désir incestueux. Au deuil considéré comme impossible et qui n’est que posture, à cette exigence de pureté qu’il appelle de tous ses vœux dans des lettres qu’il s’écrit à lui-même, à la rage froide qui l’anime et la mauvaise foi qui le caractérise, à la destruction entreprise de ses proches impuissants, Beng se brûle et se consume.

Noëmie Ksicova n’hésite pas à trahir le roman de Stig Dagerman. Avec raison tant cette langue singulière, pour qui a lu, semble impossible à adapter au théâtre. Et c’est tant mieux parce qu’elle lui permet de rester fidèle à la fois au récit et à elle-même, de bâtir une mise en scène d’une extrême finesse, délicate et sèche comme un coup de trique, avec un heureuse économie de moyen radicale. L’important n’est pas dans ce qui est dit, parfois chuchotés, rarement hurlée, mais dans ce qui est obstinément tu, le silence entre les dialogues, assourdissant et implosifs où tout semble se tendre, être démenti et se déliter. Dans le quotidien et la banalité où le moindre geste, furtif ou involontaire, porte un poids conséquent. Dans le frôlement ou l’éloignement des corps, entre attraction et répulsion. Dans le temps, un rythme comme étiré qui pourtant n’est que le rythme de la vie dans ce qu’elle a de plus triviale, de plus commune. Dans le regard des personnages s’observant, se cherchant, s’accrochant, se détournant. Et enfin les moindres sons déchirant les silences et qui vous crispent, vous alarment aussi. Nulle action donc, aucun éclat, ou alors contenu, mais une permanente et opaque intranquillité dans l’ordinaire des choses opérant une très lente bascule irrépressible.

Mise en scène hypernaturaliste, on peut dire ça, dans un refus délibéré d’une théâtralité exacerbée, d’effacer toutes scories pour être au plus près d’une réalité, de ces vies en apparence minuscules mais ici déchirées par le deuil et la crise d’un adolescent. Une déchirure allant s’agrandissant. Et c’est dans cette déchirure là que précisément s’engouffre sur la pointe des pieds, l’air de rien, la mise en scène. Quelque chose sourd doucement, imperceptible et sensible, qui mène au drame. La réussite de cette mise en scène tient surement à cette densité particulière et palpable des choses, malaisante, de plus en plus prégnante au fur et à mesure que se déroule le récit, lié au choix de suggérer par de menus faits anodins et non d’expliciter. Dans ce que Noëmie Ksicova a avec intelligence délibérément évidé, privilégiant l’ellipse pour mettre à nu l’essence du récit de Stig Dagerman, à vif les mécanismes d’une descente aux enfers où la paix n’est que provisoire, fragile.

Et puis il y a les acteurs, tous impeccables, au diapason d’une partition les obligeant à l’abnégation, un jeu sans éclat, sobre mais tout de nuances infimes, de discrètes subtilités pour atteindre une banalité extraordinaire. Ils sont d’une terrible et juste vérité jusque dans les non-dits de leur personnage, s’inscrivant en creux d’un récit sans vouloir porter de jugements sur ce qui les animent. Ils semblent avancer sans connaître la fin qui les attend, toujours dans les soubresauts de l’instant. Noëmie Ksicova a envers eux un regard d’entomologiste.

Dans le très long noir qui prècéde la dernière et splendide image de la fin, nous revient en mémoire le titre d’un dernier essai de Stig Dagerman, juste avant son suicide, notre besoin de consolation est impossible à rassasier. C’est bien à cela que Noëmie Ksicova a incidemment mis en scène, cette mélancolie, sensation pure, qui vous crame et incendie votre vie devenue une terre brûlée.

 

© Jean-Louis Fernandez

 

 

L’enfant brûlé, d’après le roman de Stig Dagerman

Mise en scène de Noëmie Ksicova

Avec Lumîr Brabant, Vincent Dissez, Théo Oliveira Machado, Cécile Péricorne, le chien Mesa et la voix de Sébastien Eveno

Scénographie : Anouk Dell’alera

Création lumière : Nathalie Perrier

Composition musicale, création sonore : Bruno Maman

Costumes : Caroline Tavernier

Dramaturgie : Aurélien Patouillard

Dressage et accompagnement du chien : Victorine Reinewald

 

Du 27 février au 27 mars 2024

Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h

Durée 2h20

 

Théâtre de l’Odéon / Ateliers Berthier

1 rue André Suarès

75017 Paris

Réservations : 01 44 85 40 40

www.theatre-odeon.eu

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