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Le viol de Lucrèce, musique de Benjamin Britten, livret de Ronald Duncan d’après la pièce d’André Obey, Théâtre des Bouffes du Nord / Opéra National de Paris

Mai 18, 2021 | Commentaires fermés sur Le viol de Lucrèce, musique de Benjamin Britten, livret de Ronald Duncan d’après la pièce d’André Obey, Théâtre des Bouffes du Nord / Opéra National de Paris

 

© Studio J’adore ce que vous faites – OnP

 

ƒ article de Denis Sanglard

Le viol de Lucrèce, opéra de chambre de Benjamin Britten, d’après une pièce d’André Obey, composé en 1946, entre étrangement en résonnance avec notre époque. Histoire de guerre et de sexe, de guerre des sexes, tragédie toujours et inévitablement contemporaine où le mystère de l’amour absolu se heurte à la violence du désir et de sa frustration. Le viol de Lucrèce n’exprime rien d’autre que le tragique de la condition humaine et révèle la part sombre de la sexualité comme objet de pouvoir. Où la culture du viol signe la tyrannie qui amène le peuple romain à la révolte, légitimant la république.

Les Étrusques dominent Rome dévastée. Le Prince Tarquinius dirige l’armée romaine contre les grecs. À Rome les épouses sont infidèles. Seule Lucretia, la femme de Collatinus, demeure vertueuse et fidèle à son époux dont elle se languit. Junius défie Tarquinius d’éprouver la vertu de Lucretia. Tarquinius rejoint Rome, demande l’hospitalité à Lucretia qui ne peut la lui refuser. Dans la nuit il pénètre dans sa chambre, l’embrasse. Devant sa résistance il la viole et s’enfuit. Au matin Lucretia envoie quérir son époux. Collatinus arrive accompagné de Junius, lequel l’a informé du projet de Tarquinius. Devant tous Lucretia avoue le viol et malgré la compassion et l’amour de son époux, ne pouvant supporter la honte, se suicide. Junius en appelle à la révolte des romains.

Opéra de chambre, forme intimiste donc, qui libère du poids de la machine opératique et offre une plus grande expressivité tant musicale que théâtrale. C’est ici en partie, en partie seulement, réussi. Léo Warynski, dont ce sont les débuts à l’Opéra National de Paris, dirige avec une minutie, une précision sans faille la partition de Britten et lui donne son poids d’expressivité et de sensibilité, dans ses pleins et ses déliés, sans lourdeur aucune. Les musiciens de l’Académie de l’Opéra National de Paris, de l’Ensemble Multilatérale et de l’orchestre-Atelier Ostinato sont au cordeau de cette baguette précise et pointilleuse. Les chanteurs de même, casting vocal cohérent, tous issue de l’Académie de l’Opéra National de Paris. Manque cependant pour certains une théâtralité certaine que compense heureusement la voix qui supplée la faiblesse du jeu. Défaut mineur mais qui apparaît flagrant dans un espace aussi intime que Le Théâtre des Bouffes du Nord et cette forme musicale, l’opéra de chambre, qui oblige à l’expressivité sans maniérisme ni cliché et demande une justesse dans le jeu. Cependant la Lucrèce de Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, voix capiteuse de mezzo, de par sa voix fait oublier son jeu quelque peu hésitant entre sur-expressivité et belle intériorité. La confrontation finale avec Collatinus (Aaron Pendleton) atteint néanmoins une réelle profondeur et justesse qui vous bouleverse soudain. Aaron Pendleton, basse, a le timbre impérial et tragique idoine. Une belle expressivité qu’ajoure un jeu sans affect et qui porte là une humanité qui vous touche. Le baryton Alexander York (Tarquinius) de même qui compose un personnage antipathique mais auquel il manque sans doute quelques nuances dans le jeu par trop stéréotypé. Là encore, la voix supplée au manque ressenti dans l’expression dramatique. Alexander Ivanov (Julius) est un baryton à la voix claire et projeté sans difficulté. Cornelia Oncioiu (Bianca) possède de superbes graves et Kseniia Proshina (Lucia) des aigus faciles et filés sans effort. Le ténor Tobias Wesman à qui incombe le chœur masculin traverse l’ensemble de l’œuvre sans que sa voix agile usant de nuance, entre imprécation et douceur, ne fatigue. Andrea Cueva Molnar, le chœur féminin, soprano sait jouer de son aigu pour, comme son pendant masculin, apporter quelques contrastes, de la clarté jusqu’à la noirceur.

Mais ce qui semble être cruellement absent ici, entre autres, est une véritable direction d’acteur. Où est passée Jeanne Candel dont c’est ici la première mise en scène pour l’Opéra de Paris ? Celle dont nous apprécions d’ordinaire la folie, l’inventivité, le risque même, capable d’enfermer la cinquième symphonie de Mahler dans un sucrier, semble par trop de respect peut être − ce qui d’ordinaire et pour notre plus grand bonheur n’est pas son fort − s’être complètement perdue dans l’œuvre, avalée par elle, réduite ainsi au néant. Malgré une scénographie qui file la métaphore contenue dans le récit, un vaste métier à tisser en arrière-plan et une large tenture aux trames lâches descendant des cintres et couvrant le plateau, la mise en scène plate et littérale, sans imagination, semble manquer d’un véritable point de vue pour une œuvre pourtant de par son sujet si riche et complexe. Esthétiquement même cela frôle l’indigence. On a connu Jeanne Candel bien plus inspirée, capable de secouer une œuvre pour en extirper joyeusement aussi bien de la poésie, de l’incongru, que des vérités insoupçonnées. D’amener les comédiens et chanteurs dans des retranchements ultimes pour révéler en eux la part inconsciente et celle de leur personnage. De faire de la scène un chantier ouvert, une écriture de plateau formidable pour une compréhension originale de l’œuvre. Avec trois fois rien bâtir un univers qui n’appartient qu’à elle mais toujours dans le respect de l’œuvre interrogée qu’elle exhaussait. Il ne reste rien, absolument rien ici de la créativité inventive de Jeanne Candel. Et quelques images inopinées et plaquée confinent parfois au ridicule qui ajoute au malaise et à l’incompréhension. Benjamin Britten semble lui avoir étrangement et fermement résisté.

Et ce que nous retiendrons, oublieux dès lors de cette mise en scène frustrante au regard d’une metteuse en scène que l’on aime d’ordinaire pour son univers original, c’est la musique, le chant, et cette partition qui décortique l’âme et ses profondeurs, son mystère, exprime le tragique humain et dirigé d’une baguette assurée et sensible par Léo Warynski.

 

© Studio J’adore ce que vous faites – OnP

 

 

Le viol de Lucrèce musique de Benjamin Britten

Livret Ronald Duncan, d’après le roman d’André Obey inspiré du poème de Shakespeare

Direction musicale Léo Warynski

Mise en scène Jeanne Candel

Costume Pauline Kieffer

Lumières César Godefroy

Musiciens de l’Académie de l’Opéra National de Paris, de l’Ensemble Multilatérale et de l’Orchestre-Atelier Ostinato

Male Chorus : Tobias Westman (A), Kiup Lee (B)

Female chorus : Andrea Cueva Molnar (A), Alexandra Flood (B)

Collatinus : Aaron Pendleton (A), Niall Anderson (B)

Junius : Alexander Ivanov (A), Danylo Matviienko (B)

Tarquinius : Alexander York (A), Thimotée Varon (B)

Lucretia : Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (A), amya Roy (B)

Bianca : Cornelia Oncioiu

Lucia : Kseniia Proshina

  • 20 et 25 mai
  • 19, 22, 27 et 29 mai

 

Du 19 au 26 mai 2021 à 18 h

Théâtre des Bouffes du Nord

37bis avenue de la Chapelle

75010 Paris

 

Réservations

Théâtre des Bouffes du Nord

01 46 07 34 50

www.bouffesdunord.com

 

Opéra National de Paris

08 92 89  90 90

www.operadeparis.fr

 

 

 

 

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