À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // Le verso des images, une histoire de Louis Braille, conception, écriture et mise en scène de Pascale Nandillon et Frédéric Tétart, aux Quinconces, scène nationale du Mans

Le verso des images, une histoire de Louis Braille, conception, écriture et mise en scène de Pascale Nandillon et Frédéric Tétart, aux Quinconces, scène nationale du Mans

Oct 24, 2022 | Commentaires fermés sur Le verso des images, une histoire de Louis Braille, conception, écriture et mise en scène de Pascale Nandillon et Frédéric Tétart, aux Quinconces, scène nationale du Mans

 

© Pascale Nandillon

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

L’enfant est agenouillé, affairé. Peignant à grands traits, emporté par l’urgence d’une indomptable nécessité, la feuille de papier blanc posée au sol bientôt disparaît sous les coups du large pinceau enduit de peinture noire, comme avalée par la nuit. « Qu’est-ce que tu fais Louis ? » lui demande sa mère. « Je peins la neige » répond l’enfant. Très énigmatiquement, dès les premiers mots, dès le premier geste, Le verso des images annonce la couleur : dévêtir l’imaginaire des habits du visible, le défroquant ainsi pour mieux l’affranchir des pâles évidences, qu’il recouvre sa liberté entière, qu’il ouvre aux esprits de nouveaux chemins de connaissance. Commençant par l’acte de peindre en recouvrant une surface de noir, et s’achevant sur un tableau au cadre doré, identiquement noir, la dernière création de l’atelier hors champ, boucle ainsi sa boucle par le verso d’une même image comme un manifeste.

Pascale Nandillon et Frédéric Tétart ont ensemble écrit et mis en scène cette évocation de la vie de Louis Braille, inventeur du célèbre et universel alphabet qui porte son nom. Pour raconter l’histoire de cet enfant devenu accidentellement aveugle très jeune, l’écriture est de bout en bout limpide, alternant narration et scène dialoguée. Elle est surtout profondément sensible, inventive, donnant naissance à une relation spectaculaire qui ne serait plus soumise aux seuls diktats du visible. Ce qui est habituellement délimité par la vision se redéploie à l’infini dans une polysémie sensorielle. « Les oiseaux dans le ciel crépitent comme des étincelles ». Une autre grammaire de l’être au monde se met en place, une autre enfance de l’art s’offre à chaque spectateur, petit ou grand, si l’on veut bien entendre par là cette capacité insoupçonnée à saisir le monde par la totalité de nos sens sous la gouverne de l’imaginaire. « Ça brille dans les oreilles » crie Louis.

Sur la scène, des tables surmontées de plateaux blancs comme d’immenses feuilles de papier flottant sur le cours de l’histoire. Des objets hétéroclites les parsèment, tête d’homme en plâtre, violon, tas de farine, pelote de ficelle, pile de draps, vasque d’eau, livres… dans une latence inquiète semblable à celle qui nimbe les peintures de Giorgio de Chirico. Ils sont autant de formes de la mémoire, des réceptacles émotifs, des agrégats de passé, des continents poétiques où Le verso des images extrait les reliefs de sa trame.

C’est un abécédaire, chaque scène est annoncée par un mot lui-même précédé par la clameur de sa première lettre. Ainsi chaque partie est à l’image du tout, épouse la course inouïe de Louis Braille : cette quête héroïque d’un nouvel alphabet. « A comme accident ». Louis est seul dans l’atelier de son père, joue avec l’allène servant à percer le cuir. Sur scène, dans un raccourci de quelques secondes, Louis donne des coups d’archets, le violon gémit, les cordes se tendent, grincent dans un cri, tandis qu’une pierre pointue brille de mille feux juste au-dessus de sa tête et que des hennissements stridents déchirent la nuit et nos âmes. Cut. Noir. Le verso des images est fait de ces fulgurances holistiques, épiphanies d’une écriture de plateau composée d’équivalences poétiques et synthétiques, écriture merveilleuse, à la fois condensation et diffraction à l’instar d’une boule à facettes. La texture émotive du spectacle est rythmée de ces acmés, comme les reliefs des points sous la pulpe du doigt lisant un texte en braille. Le verso des images fait saillie, il perce l’enveloppe de nos préconceptions, il perce le voir, et accouche d’un nouveau monde. Un cerceau suspendu depuis les cintres est un puits où la voix se perd en écho comme des ronds dans l’eau, la canne de l’aveugle est une baguette de sourcier, une flûte, une arme. Le naturalisme qui encombre habituellement les scènes de théâtre laisse la place ici à l’animisme des formes. Et si Le verso des images est un spectacle inclusif, pour reprendre ce terme dans son acception contemporaine, ce n’est pas seulement parce qu’il accueille également des spectateurs déficients visuels sans qu’une audiodescription ne soit requise, ni seulement parce qu’il s’adresse autant à un jeune public qu’à un public adulte, c’est aussi parce qu’il nous enveloppe comme une peau sensible parcourue d’aspérités, de replis, de béances, de tensions. Images, sons, lumières, mots tissent cet épiderme multiforme qui fait corps et colle à la peau du spectateur. Rarement on aura eu la sensation d’adhérer autant et littéralement à un spectacle.

Empruntant à l’art du conte avec son lot d’épreuves rythmant le parcours initiatique de son personnage, la création de l’atelier hors champ saisit le singulier et l’intime d’une histoire, celle de Louis Braille qui ne s’en laisse pas conter et n’aura de cesse de lutter contre les institutions et le monde tel qu’il est. A travers cette vie illustre, Le verso des images nous tend alors un miroir, devient emblématique et universel sans rien perdre de sa force concrète : c’est alors l’enfance irréductible, cette bouche de vérité, qui se met à nous parler sans compromission, c’est, en filigrane, la jeunesse d’aujourd’hui luttant contre les errements et l’aveuglement de ses aînés lui léguant un monde en destruction. La partition est magnifiquement portée par Aglaé Bondon, interprétant Louis avec douceur et conviction dans une transparence telle qu’elle nous donne à voir tout ce qui la traverse, véritable médium du plateau, et puis par Sophie Pernette, narratrice et virtuose dans cette galerie de personnages qu’elle endosse, telle une Madame Loyale les faisant surgir en quelques signes.

Si Le verso des images, enfin, nous touche et nous bouleverse comme un poème épique scandant à sa mesure l’injustice du réel et le combat mené à hauteur d’enfant pour inventer un monde meilleur, s’il est certain que ce qui opère sur scène et nous traverse au-delà des mots et des images participe de la célèbre citation de Saint-Exupéry, « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux », il y a aussi et peut-être avant tout, comme un préalable, cette révélation que nous fait vivre l’atelier hors champ : le théâtre est l’art de rendre visible ce qui nous aveugle, de toucher du doigt et du cœur une émotion enfouie jusque-là, le théâtre est ce trompe-l’œil exprimant dans une écriture enfin accessible ce qui, sans cela, resterait illisible dans le roman de la vie.

 

© Agathe Pommerat

 

 

Le verso des images, une histoire de Louis Braille, conception, écriture et mise en scène de Pascale Nandillon et Frédéric Tétart

Assistanat à la mise en scène : Lucile Marais

Avec : Sophie Pernette et Aglaé Bondon

Voix enregistrée : Ilya Pourcines

Création lumière et régie lumière, régie vidéo : Soraya Sanhaji

Création sonore et régie son, palette graphique et régie vidéo : Frédéric Tétart

Stagiaire son, assistanat logiciel et médias : Théophile Rey

Collaboration artistique : Serge Cartellier

Construction décors : François Fauvel et Frédéric Tétart

 

Durée 1 h 15

Du 11 au 13 octobre 2022

A 20 h sauf mercredi 19 h

 

 

Les Quinconces – Scène nationale

4 place des Jacobins

72000 Le Mans

Tél. 02 43 50 21 50

https://www.quinconces-espal.com

 

 

En tournée :

Le Carré-Belle Feuille (Boulogne)

Le 9 novembre 2022 à 15 h

https://www.boulognebillancourt.com/loisirs/culture/le-carre-belle-feuille

 

Centre Culturel Saint-Exupéry (Franconville)

Le 16 novembre 2022 à 15 h

https://www.ville-franconville.fr/mes-services-et-demarches/vie-culturelle/equipements/

 

Sèvres Espace Loisir (Sèvres)

Le 20 novembre 2022 à 15 h

https://www.sel-sevres.org

 

Théâtre de la Fonderie (Le Mans)

Le 3 mars 2023 à 19 h et le 4 mars à 17 h

https://www.lafonderie.fr

 

L’Estive Scène Nationale de Foix et de l’Ariège

Le 14 mars 2023 à 20 h 30, le 15 mars à 19 h, le 17 mars à 20 h 30

https://www.lestive.com

 

Le Théâtre dans les Vignes (Carcassonne)

Le 24 mars 2023 à 20 h 30

https://www.letheatredanslesvignes.fr

 

Le Théâtre de la Bulle Bleue (Montpellier)

Le 28 mars 2023 (horaire non disponible à cette date)

https://www.labullebleue.fr

 

Théâtre de l’échangeur (Bagnolet)

Le 19, 20 et 21 avril 2023 à 14 h 30 et 22 avril à 16 h

https://lechangeur.org

 

 

Be Sociable, Share!

comment closed