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Le soulier de satin, musique de Marc-André Dalbavie, livret de Raphaèle Fleury d’après Paul Claudel, mise en scène de Stanislas Nordey, Opéra National de Paris, Palais Garnier

Mai 25, 2021 | Commentaires fermés sur Le soulier de satin, musique de Marc-André Dalbavie, livret de Raphaèle Fleury d’après Paul Claudel, mise en scène de Stanislas Nordey, Opéra National de Paris, Palais Garnier

 

© Elisa Haberer – OnP

 

ƒƒ article de Denis Sanglard

Le Soulier de satin version opératique, il fallait oser. C’est désormais fait et ouvre après la fermeture obligée l’Opéra de Paris. Défi majeur tant la pièce profuse et éminemment théâtrale de Claudel, œuvre monstre qui conte les amours de Prouhéze et de Rodrigue, traverse quatre continents, deux décennies, se jouant sciemment de la temporalité et de l’espace. Pièce qui noue fermement l’épique et l’intime, le tragique et la comédie, le sublime et le grotesque, le mystique et la chair sur un tréteau de foire, représentation du monde en son entier, tourne vers le ciel et l’inconnu. C’est aussi et surtout la traversée périlleuse d’une langue puissante, lyrique, poétique, hermétique même, musicale en diable et qui demande à qui s’en empare un souffle inépuisable jusqu’au manque et surtout d’être possédé par elle parce qu’elle est l’essence même du personnage, au plus intime, jusqu’à le déterminer. « Cette langue difficile à mettre en musique, notamment parce qu’il s’agit déjà de musique » comme le remarque avec justesse le compositeur Marc-André Dalbavie, également à la baguette, qui s’est donc attelé à cette tâche ardue, à l’initiative de Stéphane Lissner. Et si le livret respecte plus l’esprit que la lettre de Claudel, difficulté du verbe claudélien toujours, la musique en est le prolongement, échos de ces âmes tourmentés et de ce siècle en bascule, dans ce monde ouvert désormais, où jamais le soleil ne se couche. Ainsi que l’auteur diplomate, Marc-André Dalbavie compresse, relie en une phrase musicale les continents et les époques. Utilisation en autre du cymbalum qui entre en résonance avec le siècle d’or espagnol, le projette en orient et l’inscrit dans une modernité certaine, héritage assumé de Pierre Boulez. Que rehausse l’utilisation de sons électroniques… C’est aussi une nappe sonore qui gronde parfois à en couvrir les chanteurs dont elle se détache, se refusant à les suivre. De façon plus classique et volontaire Marc-André Dalbavie joue de la convention dans l’attribution des voix et de la relation induite par celle-ci entre les personnages. Prouhéze, femme puissante et mystique, est une mezzo. Rodrigue, grand d’Espagne, un baryton. Camille, le renégat, une basse. Opposition des tessitures, personnages fortement stéréotypés certes et qui les inscrivent ici dans une tradition à dessein. Mais cette convention est subtilement pulvérisée par la ligne musicale de chacun et le verbe subversif de l’auteur. Si cet opéra oscille entre le symphonique et l’atonale, entre rétention et explosion, reflet de ces âmes captives et prolongement du vers claudélien, ce qui le caractérise fortement est le parlé-chanté, le sprechgesang décliné sous toutes ses possibilités, jusqu’à ses limites, du récit à la forte scansion, jusqu’au chant pur. L’un prolongeant l’autre et sans rupture aucune, en toute fluidité. Respectant ainsi la forte dimension théâtrale de l’œuvre et par son économie musicale plus proche de Debussy que de Wagner.

Et c’est peut-être là que le bât blesse, que cette partition a les défauts de ses qualités. Cette oscillation, au demeurant juste dans son intention, étire sans doute plus que de raison le temps. Le rythme s’il ne s’essouffle en souffre et devient étal et bientôt létal. Il n’y a que les interventions proprement théâtrales, formidables Yan-Joël Colin et Cyril Bothorel (L’Annoncier et l’Irrépressible) qui offrent un sursaut bienvenu et évitent ce que redoutait Claudel, la monotonie. C’est vrai qu’au chaos annoncé en préambule, au provisoire, à l’improvisation, au théâtre en train de se faire et voulu par l’auteur Stanislas Nordey offre une mise en scène bien sage qui semble se répéter de tableaux en tableaux jusqu’ à l’épuisement. Nous ne sommes plus dans l’illusion volontaire, le théâtre dans le théâtre, mais dans une mise en scène qui s’installe après un préambule conforme aux intentions exprimées par Claudel dans un certain vérisme opératique et sclérosé. De larges panneaux, détails de toiles de maîtres de la Renaissance espagnole et italienne, de Zurbaran au Greco – agneaux mystiques, vierges, vanités –, glissent à vue et structurent l’espace, un plateau nu aux murs habillés de lumières. Et les chanteurs bien trop souvent au premier plan, face public, figés et hiératiques. Et ce qui saute alors aux yeux c’est combien manque ici, malgré leur passion avouée, le corps des personnages dans l’expression exacerbée de son désir et de son refus.

Stanislas Nordey est d’évidence ici plus à l’aise dans les séquences théâtrales lesquelles demeurent les plus réussies et lui aussi avance dans cette œuvre un peu boiteux et souffre à impulser une dynamique, un rythme que l’alternance entre chant, parlé-chanté et théâtre ne permet visiblement pas. Malgré tout certaines scènes vous frappent par leur beauté sèche et dont le hiératisme là se justifie. La prière de Dona Musique pour l’unification des peuples, atteint un peu là, dans son austérité, le point de jonction réussi entre la mise en scène et la musique, plus proche à vrai dire de l’oratorio. Et comment ne pas résister à citer la séquence de la Lune où sur l’astre projetée et voilée de brume la voix musicale de Fanny Ardant s’élève et fait entendre somptueusement le verbe de Claudel jusque dans sa complexité sémantique.

Pourtant l’ensemble de la distribution ne démérite pas dans son engagement à défendre cette création ardue et audacieuse dans ses intentions. Engagement et endurance au risque d’une fatigue vocale ( l’œuvre originale de douze heures est quand même réduite à plus de cinq heures). Lucas Pisaroni (Don Rodrigue) et Eve-Maud Hubeaux (Dona Prouhéze) incarnent leur personnage avec une belle intensité dramatique. Jean-Sébastien Bou (Don Camille) apporte à son personnage une humanité complexe et ambiguë. Julien Dran (le vice-roi de Naples) a cette clarté et cette fraîcheur que l’on retrouve avec Vannina Santoni (Dona Musique) et dont les vocalises signent un personnage bouleversant entre naïveté et gravité. Camille Poul (Dona Sept-Epée) a l’insolence de la jeunesse qu’exprime une voix claire et aérée. Et puis il y a cette révélation, le contre-ténor Max-Emmanuel Cencié (L’ange gardien) dont ce sont les débuts à l’Opéra de Paris. Voix vibrante aux aigus lumineux capable de passer au grave dans son duo avec Prouhéze.

 

© Elisa Haberer – OnP

 

Le soulier de satin musique et direction musicale Marc André Dalbavie

Livret Raphaèle Fleury d’après Paul Claudel

Mise en scène Stanislas Nordey

Décors Emmanuel Clolus

Costume Raoul Fernandez

Lumière Philippe Berthomé

Vidéo Stéphane Pougnand

Créateur sonore Daniele Guaschino

Chorégraphie Loïc Touzé

Collaboration artistique à la mise en scène Claire Ingrid Cottanceau

Livret et dramaturgie Raphaèle Fleury

 

Avec Eve-Maud Hubeaux, Lucas Pisaroni, Marc Labonette, Yan Beuron, Nicolas Cavallier, Jean-Sébastien Bou, Béatrice Uria-Monzon, Eric Huchet, Vannina Santoni, Max-Emanuel Cencic, Julian Dran, Camille Poul, Yann-Joël Collin, Cyril Bothorel, Yuming Hey, Mélody Pini, Fanny Ardant (voix enregistrée).

Et Marianne Croux, Andrea Cueva Molnar, Alexandra Flood, Ksenia Prohina, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Marine Chagnon, Lise Nougier, Cornelia Oncioiu, Ramina Roy

 

Cinq représentations du 21 mai au 13 juin 2021

21, 23, 29 mai à 14 h

5 juin à 14 h

13 juin à 14 h 30

 

Opéra National de Paris

Palais Garnier

Place de l’opéra

75009 Paris

 

Réservations 08 92 89 90 ou 33 1 75 25 24 23

www.operadeparis.fr

 

 

 

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