ƒƒƒ article de Denis Sanglard
C’est d’un pas martial, émergeant de l’obscurité, vêtues de noir et croix en bannière qu’elles déboulent sur le plateau nu. Ironique pied de nez, parodie du patriarcat et du catholicisme qui dominent, étouffent leur vie. Et puis soudain elles se dévêtent. Ce sont des corps imparfaits, généreux, vêtus de robes de couleurs vives, des corps brouillons qui débordent de vie, explosent de rire. Place au matriarcat souterrain qui protège les hommes d’eux-mêmes comme le père si fragile et désemparé devant ses sept filles qui le bousculent, l’insultent, le détestent et l’aiment tout à la fois. Homme-enfant qui nettoie la merde des autres pour leur survie à elles, ses sept filles qu’il élève, comme il le peut avec autant de gaucherie que d’amour, dans la pauvreté rude.
Emma Dante renverse les identités et transforme ces femmes exubérantes en guerrières, héroïnes de leur propre vie. Comme ces marionnettes palermitaines, l’opera dei pupi, dont elles portent un instant les armes, boucliers et épées, souligné par ce jeu volontairement frontal et direct. Ainsi leur histoire devient légende, épopée. Le Sorelle Macaluso c’est bien l’épopée intime d’une famille entre tragédie et bonheur, la vie que la mort traverse inévitablement, abruptement. Celle de la plus jeune des sœurs le premier jour à la mer, celle d’un enfant qui se rêvait Maradona, celle d’une sœur qui se voyait ballerine. Ces morts que l’on n’a pas su ou pu protéger et qui vous pourrissent la vie, l’amour, vous hantent et font basculer les relations dans l’incompréhension, la honte, la culpabilité, la haine. Mais elles sont liées par-delà, au-delà, membres d’une fratrie indissoluble malgré les coups du sort, dans ce huis clos familial dont elles ne sortent pas par impuissance ou volonté. Où les morts sont encore vivants et vous accompagnent, vous agrippent pour ne pas mourir tout à fait. Emma Dante fait exulter les corps. Le plateau est nu et les corps dansent, toupillent. Encore et encore. Jusqu’à leur épuisement, jusqu’à s’écrouler. Une somptueuse danse mortuaire, dans son dépouillement. Malgré tout, les corps exsudent avec rage et bonheur la vie. Une danse mémorielle et guerrière qui défie la mort en un combat singulier avant qu’elle ne vous efface.
Sublime dernière image d’une ballerine maladroite absorbée lentement par le noir qui atteint la grâce avant le néant. C’est brut, certes, mais ce qui se joue là n’a pas besoin d’emphase ni de joliesse. Dans sa pauvreté âpre et volontaire du traitement, dans le dépouillement absolu du plateau, dans la brutalité des faits et la crudité des paroles, c’est d’une poésie crépusculaire qui vous irradie, vous secoue au tréfonds. Et c’est cette putain de vie qui vous rattrape !
Le Sorelle Macaluso
Spectacle d’Emma Dante
Lumières Cristian Zucaro
Armures Gaetano Lo Monaco
Assistanat à la mise en scène Daniela Gusmano
Avec Serena Barone, Elena Borgogni, Sandro Maria Campagna, Italia Carrocio, Davide Celona, Marcella Colaianni, Alessandra Fazzino, Daniela Macaluso, Leonarda Saffi, Stéphanie TaillandierDu 14 au 25 janvier 2015, 21h
Relâche les lundis et le 18 janvierThéâtre du Rond-Point
(Salle Renaud-Barrault)
2bis, av. Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris
Réservations : 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr
comment closed