© John Hogg
ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
Dada Masilo arrive par le côté cour du plateau de la Cour du Lycée Saint-Joseph, le crâne rasé, pieds et seins nus, une jupe tie and dye dans les tons rose et entame seule Le Sacrifice en nouant et dénouant ses bras et ses mains, comme d’étranges animaux ou végétaux qui auraient pris possession d’elle. Sur le mur du fond est projeté une image d’arbres qui restera toute l’heure. Une femme la rejoint par le côté jardin, monumentale, impressionnante rien que dans sa démarche dans une grande robe tie and dye aux tons bleu-vert. Elle traverse la scène telle une grande prêtresse tenant sur sa tête un œuf blanc en direction des musiciens (clavier, violon et percussions) à cour, encore discrets dans les premières minutes du spectacle.
Des cris surgissent et rapidement six danseurs et trois danseuses rejoignent Dada Masilo pour enchaîner des ensembles, duos, trios, délivrant une très belle énergie et joie communicative. La chorégraphe se réclame d’une filiation très précise pour ce spectacle qui est celle du Sacre du printemps de Stravinsky, créé au début du XXème à Paris par les Ballets russes. Si nous n’avions pas lu sa note d’intention, nous n’aurions pas nécessairement pensé à cette chorégraphie de Nijinsky superbement interprétée ensuite par la compagnie de Pina Baush, qui fait partie des références incontournables de la danseuse sud-africaine, mais également donnée par le Grand ballet du XXème siècle de Maurice Béjart et qui a marqué des générations de danseuses et danseurs.
La dimension rituelle, partiellement sacrificielle du Sacre n’apparaît en effet pas vraiment dans les trois-quarts de Sacrifice qui par contre permet d’initier le public à la danse twsana, ethnie d’origine de la chorégraphe, mais qui n’avait jusqu’alors pas exploité cet héritage culturel, puisant néanmoins mais plus généralement dans différents types de danses africaines pour revisiter de grandes œuvres parmi les ballets classiques et contemporains, tout en s’appuyant sur sa formation acquise en particulier auprès de l’école d’Anne Teresa de Keersmaeker.
La chorégraphie souvent très rapide, qui comprend ou dans laquelle Dada Masilo intègre de nombreuses combinaisons de palmas millimétrées dignes des meilleurs danseurs et danseuses de flamenco, est joyeuse, virtuose parfois, tant est si bien qu’à deux reprises les danseurs font mine de demander du répit aux musiciens et de ralentir la cadence, ayant besoin de respirer, ce qui fait rire le public.
Les tableaux s’enchaînent, sans relâche, avec quelques changements de costumes, mettant en valeur régulièrement la danseuse-chorégraphe, laissant de rares solos à ses danseurs, dont un masculin pourtant très beau mais trop court, sous l’influence évidente d’Alvin Ailey (pas seulement en raison des costumes blancs).
Ce n’est que dans le dernier quart du spectacle que l’on a vraiment l’impression d’entrer dans la dimension sacrificielle de la proposition. Les visages se ferment, les corps se recroquevillent, les signes et les symboles de gravité se multiplient tel ce premier arum blanc offert à la sacrifiée qui le refuse, qui sera suivis d’autres exemplaires de cette vivace (qui est originaire d’Afrique du Sud) respectueusement portés par chaque danseur en signe d’obédience et de respect.
Quand Ann Masina, dont la tessiture soprane d’une grande ampleur a enrichi tout le spectacle, rejoint Dada Masilo sur le plateau pour la scène finale, ce qui se joue face à nous correspond vraiment au titre du spectacle Le Sacrifice. On devine enfin la chanteuse plutôt mère que prêtresse, à moins que ce ne soit les deux, se penchant sur sa fille comme Clytemnestre sur Iphigénie, la prenant dans ses bras et pleurant sur son sort. Quelques secondes déchirantes, qui tranchent avec les 55 précédentes minutes qui ne jouaient pas sur le registre de l’émotion.
© John Hogg
Le Sacrifice, de Dada Masilo
Chorégraphie : Dada Masilo
Musique : Ann Masina, Tlale Makhene, Leroy Mapholo, Nathi Shongwe
Costumes : David Hutt
Avec : Sinazo Bokolo, Lwando Dutyulwa, Thuso Lobeko, Dada Masilo, Songezo Mcilizeli, Thandiwe Mqokeli, Refiloe Mogoje, Steven Mokone, Lebo Seodigeng, Tshepo Zasekhaya
Et les musiciens Tlale Makhene, Leroy Mapholo, Ann Masina, Nathi Shongwe
Durée 1 h
Jusqu’au 25 juillet, 18 h
Cour du Lycée Saint-Joseph
62 rue des Lices
84 000 Avignon
Tournée en 2022-2023 en France :
Théâtre des Salins (Martigues)
Bonlieu, Scène nationale d’Annecy
L’Onde Théâtre Centre d’Art (Vélizy-Villacoublay)
La Villette, Paris
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