Critiques // Le Rossignol – Les Mamelles de Tirésias, Stravinsky – Poulenc, mise en scène de Olivier Py, au Théâtre des Champs-Elysées 

Le Rossignol – Les Mamelles de Tirésias, Stravinsky – Poulenc, mise en scène de Olivier Py, au Théâtre des Champs-Elysées 

Mar 18, 2023 | Commentaires fermés sur Le Rossignol – Les Mamelles de Tirésias, Stravinsky – Poulenc, mise en scène de Olivier Py, au Théâtre des Champs-Elysées 

 

 

© Vincent Pontet

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

 

Avant de rejoindre le Chatelet comme directeur, Olivier Py revient pour la troisième fois   au   Théâtre   des   Champs-Elysées   pour   mettre   en   scène Poulenc, après le magnifique Dialogue des Carmélites en 2013 et La  Voix humaine en 2021 auquel avait été ajouté Point d’Orgue, œuvre miroir commandée à Thierry Escaich. Sur la suggestion semble-t-il de Sabine Devieilhe, il a été décidé cette fois de faire précéder la troisième pièce, Les Mamelles de Tirésias, de ce cycle Poulenc d’une autre œuvre lyrique, à savoir Le Rossignol de Stravinsky.

Olivier Py trouve une idée géniale de mise en scène qui permet de donner une cohérence à la réunion de ce conte lyrique en trois actes créé en 1914 à l’Opéra de Paris par la troupe des Ballets Russes et l’opéra-bouffe en deux actes et un prologue créé en juin 1947 à l’Opéra-comique, qui n’avaient pas vocation à l’être. On voit d’abord l’envers du décor, puis l’endroit   avec   un   respect   scrupuleux   des   déplacements   donnant l’impression aux vrais spectateurs que nous sommes d’avoir assisté aux coulisses   puis   au   vrai   spectacle.   C’est   artificiel   mais   incroyablement astucieux et force le respect quant à la capacité de la distribution du premier opéra qui revient après un court entracte dans le second, de passer d’un univers à l’autre, car ils sont extrêmement différents tant sur le plan musical que de leurs arguments.

Le Rossignol est une œuvre prenant pour point de départ deux contes d’Andersen et très métaphysique tandis que Les Mamelles de Tirésias sous l’apparence d’une farce qui a pour origine une pièce de Guillaume Apollinaire, recèle   des   interrogations   avant-gardistes   sur   un   mode jubilatoire.

Le Rossignol invite   à   l’introspection :   bien   que   séduit   par   le   chant merveilleux de l’oiseau de la forêt, l’empereur de Chine s’en détourne quand de nouveaux émissaires lui font cadeau d’un oiseau mécanique. Le premier fuit et est déclaré banni par l’empereur vexé, mais revient à l’appel de l’empereur au seuil de la mort, ce qui le ressuscite en quelque sorte, la mort décidant elle-même émue par le chant céleste de lui rendre sa couronne.

Toute autre ambiance dans Les Mamelles de Tirésias qui nécessitait bien un entracte pour faire tourner le décor et ne pas laisser les esprits dans les profondeurs rossignolesques.

Devant l’escalier rouge et rideau pailleté du Zanzibar, le directeur du lieu, en Monsieur Loyal aguerri, avertit de ce qui va suivre, dans une adresse directe au public qui reçoit comme une mise en garde : un résumé de la pièce « dont le but est de réformer les mœurs ».

Il n’y a rien d’étonnant en ce que cette œuvre ait séduit Olivier Py ou son double Miss Knife. Nous sommes dans une ambiance assumée, résolument cabaret avec ses danseurs, torses nus imberbes (sauf un) et fesses à l’air (musclées) dans des strings rouges assortis aux décors, se déhanchant langoureusement tandis que les aventures de Thérèse devenue Tirésias après avoir décidé de changer de sexe et de laisser s’envoler sa poitrine (deux gros ballons gonflables roses) vers les cintres, attache son mari après l’avoir travesti en femme et laissé aux assauts d’un gendarme.

Il est difficile de croire qu’Olivier Py n’a pas fait d’ajouts au texte tant le propos d’Apollinaire est d’un avant-gardisme inattendu, se saisissant de la question de la natalité en en faisant une fable d’anticipation qui identifie aussi bien les problèmes de surpopulation que les questions du genre et du choix de son sexe, mais aussi le besoin viscéral de liberté des femmes,

Thérèse   s’affirmant   textuellement  «féministe»,   voulant « agir   à   sa guise  », se rêvant « soldat » (préférant « faire la guerre » plutôt que des «enfants»),   « avocat » ou « président   de   la   chose   publique », « mathématicienne  » ou encore « petit télégraphiste»… Le metteur en scène boit du petit lait avec ce texte et illustre copieusement le propos, n’hésitant pas à surplomber la scène du Zanzibar d’abord du tracé stylisé en néon d’une vulve, puis à la même place d’une verge d’où jaillit plus tard une profusion de mousse, tandis que des dizaines de poupons (il en faudrait 40049) volent sur scène et même dans le public manquant à peine d’assommer une spectatrice… L’assistance rit sans modération de tant de toupet.

Mais   cette   adhésion   sans   réserve   n’est   possible   qu’en   raison   de   la perfection musicale de l’Ensemble Aedes et l’orchestre Les Siècles sous la direction de François-Xavier Roth et des solistes de premier plan. La soprane Sabine Devieilhe excelle dans les deux œuvres. En rossignol d’abord qui triomphe de son avatar mécanique (devenu électronique dans cette mise en scène, avec un clin d’œil à un réseau social siffleur) à la Cour impériale de Chine. Indépendant et ingénu dans son costume vert à plumes, enfilé au premier étage de la scène sur des bas et culotte rouges, mais bienveillant et pas rancunier, le rossignol Devieilhe a l’éclat et la clarté des sons purs, une voix qui semble naturelle alors que la virtuosité dans les airs de chacun des trois actes est d’une si grande exigence. En épouse rebelle ensuite, changeant de sexe pour mieux combattre les injonctions faites aux femmes de procréer, elle enchaîne à nouveau les airs virtuoses en prenant un plaisir manifeste dans la comédie, à l’instar de son aînée Patricia Petibon à l’affiche des deux premiers spectacles du cycle Poulenc, lui empruntant jusqu’à sa rousse chevelure caractéristique, hommage sans doute du metteur en scène à sa première muse. Les mêmes louanges doivent être adressées au reste de la distribution en particulier au baryton Jean-Sébastien Bou, souverain majestueux chez Stravinsky   et   mâle   désabusé   chez Poulenc, aussi   bon   chanteur   que comédien dans des genres totalement opposés; et à Laurent Naouri sérieux Chambellan avant que devenir le Monsieur Loyal du cabaret queer.

Quand bien même le spectacle sera diffusé sur des chaînes de télévision et de radio musicales, rien ne vaut pour les parisiens d’aller découvrir ces deux   ovnis   opératiques   au   Théâtre   des   Champs-Elysées, bien   plus profonds que leurs formes ne le laissent paraître.

 

© Vincent Pontet

 

Le Rossignol de Stravinsky et Les Mamelles de Tirésias de Poulenc

Direction musicale: François-Xavier Roth

Mise en scène : Olivier Py

Décors et costumes : Pierre-André Wietz

Lumières : Bertrand Killy

Avec :

Dans le Le Rossignol : Sabine Devieilhe | Le Rossignol Cyrille Dubois | Le Pêcheur/1er émissaire japonais Chantal Santon Jeffery | La Cuisinière Laurent Naouri | Le Chambellan Victor Sicard | Le Bonze Francesco Salvadori | 2e émissaire japonais Rodolphe Briand | 3e émissaire japonais Jean-Sébastien Bou | L’Empereur de Chine Lucile Richardot |La Mort

Dans Les Mamelles de Tirésias :  Sabine Devieilhe | Thérèse-Tirésias / La Cartomancienne Laurent Naouri | Le Directeur de théâtre Jean-Sébastien Bou | Le Mari de Thérèse Victor Sicard | Le Gendarme Cyrille Dubois | Le Journaliste parisien / Monsieur Lacouf Rodolphe Briand | Le Fils / Une grosse dame

Orchestre : Les Siècles

Chœur : Ensemble Aedes (direction Mathieu Romano)

Durée 2h05

(avec entracte)

 

Jusqu’au 19 mars 2023, à 17h30 et dimanche 19 à 17h

 

Théâtre des Champs-Elysées

15 avenue Montaigne

75008 Paris

reservation :www.theatrechampselysées.fr

 

 

 

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