À l'affiche, Critiques // « Le roi Lear », d’après William Shakespeare, mise en scène d’Olivier Py, Cour d’honneur du Palais des papes

« Le roi Lear », d’après William Shakespeare, mise en scène d’Olivier Py, Cour d’honneur du Palais des papes

Juil 08, 2015 | Commentaires fermés sur « Le roi Lear », d’après William Shakespeare, mise en scène d’Olivier Py, Cour d’honneur du Palais des papes

ƒƒ article de Florent Mirandole

Pourquoi aucun son ne fait résonner les cordes vocales de Cordelia ? Pétrifiée, interdite ou étranglée par l’émotion, Cordelia, la fille préférée de son père, reste muette. Le texte que lui souffle le fou du roi ne l’aide pas non plus à répondre à la question que vient de lui poser son père sur son amour. Elle ne dit même pas non, mot pourtant largement plébiscité dimanche dernier, elle ne dit rien. « RIEN !! » Hurle à sa place le fou, épouvanté lui-même par l’entorse au code. Pourtant l’entorse ne vient pas de Cordelia, mais de Lear, qui a commis la faute originelle de vouloir transformer le langage en un instrument pour son propre plaisir ?

Ainsi s’ouvre le très attendu « Roi Lear » d’Olivier Py. Les multiples insertions contemporaines dans cette scène inaugurale annoncent le caractère très personnel de ce « Roi Lear ». Si le directeur du festival d’Avignon se permet même d’apporter sa propre traduction de la pièce, c’est que le « Roi Lear » est pour lui une borne majeure de l’histoire humaine. C’est le point de départ de la lente désintégration du langage, lorsqu’il a cessé de désigner la réalité, dont la faute de Lear n’est que le prodrome. En transformant le langage en un simple outil, de conquête ou de séduction, Lear a enclenché une mécanique infernale qui verra alors le technicien prendre le pouvoir sur le poète, le météorologue sur l’astrologue, l’ingénieur sur le politique. Ainsi est tissé un fil long de plusieurs siècles, reliant la faute originelle du roi aux désastres du XXème siècle selon Olivier Py.

Le metteur en scène semble lutter dans un premier temps contre le pessimisme de la pièce en introduisant quelques motifs d‘optimisme. Si le langage commence à être perverti, Cordelia tente tout de même de traduire son amour par la danse. Elle bouge, glisse, entoure de tendresse son père avec ses pointes. Pourtant Olivier Py ne croit pas plus à la danse qu’à la capacité du langage à avoir à nouveau du sens. Les multiples références aux drames contemporains montrent bien que le mal court toujours.

py1© DR

Classiques contre modernes

Dans un décor épuré, les comédiens évoluent autour de deux pôles dont l’utilisation de la langue constitue la ligne de démarcation. Face à la raison de Kent, de Cordelia et de la sage folie du fou se dresse « l’intérêt de l’argent » de la jeune génération, les deux autres filles de Lear et le diabolique Edmond, fils bâtard de Gloucester. L’intelligence de la pièce est d’utiliser le style de jeu pour caractériser cette opposition. Ecumant de rage et mangeant ses mots, l’approche hyper moderne de Nâzim Boudjenah (Edmond) s’oppose en tout point au jeu classique de Philippe Girard (Lear) ou de Jean-Marie Winling (Gloucester). A noter la partition particulièrement brillante d’Amira Casar (Goneril), excellant dans le mélange des genres, tout à la fois fille dévorée par l’ambition et furie décomplexée débordante de mépris pour son rondouillard mari (Thomas Pouget-Ecosse).

Il en ressort un bouillonnement des styles spectaculaire mais parfois maladroit. La technique très classique de Philippe Girard finit par ne plus réussir à faire entendre le texte de Lear, alors que la nouvelle génération n’hésite devant aucune innovation pour imposer son texte. De même le mutisme de Cordelia reste frustrant malgré ses jolis entrechats, alors que ce personnage est censé incarner la tendresse et l’amour. Seule la puissance du discours du fou, incarnée brillamment par Jean-Damien Barbin, parvient à rivaliser avec la modernité et la séduction déployées par les enfants ambitieux et destructeurs. Il faut attendre la scène finale pour que l’intensité, élevée pendant les trois premiers actes, innerve à nouveau la pièce.

Au milieu d’une scène striée de bandes rouge vif descendant du ciel, une bande de soldats cagoulés fait entendre la puissance de leurs kalachnikov. Au milieu des cadavres et des explosions, cette rupture glaçante donne à la pièce un nouveau souffle. La défaite militaire de Lear accélère alors l’effondrement d’un monde. Même le fou est submergé par la guerre. Ce n’est pas la peine de chercher de la nuance, ou un motif caché d’espérance dans cette version hyper moderne de l’apocalypse. Olivier Py tue devant nous tout espoir pour l’humanité. Sombre et brillant.

Le Roi Lear
D’après William Shakespeare
Traduction et mise en scène Olivier Py
Scénographie, décor, costumes et maquillages Pierre-André Weitz
Lumière Bertrand Killy
Avec Jean-Damien Barbin, Moustafa Benaïbout, Nâzim Boudjenah de la Comédie-Française, Amira Casar, Céline Chéenne, Eddie Chignara, Matthieu Dessertine, Emilien Diard-Detoeuf, Philippe Girard, Damien Lehman, Thomas Pouget, Laura Ruiz Tamayo, Jean-Marie Winling

Jusqu’au 13 juillet 2015 à 22h
Relâche le jeudi

Cour d’honneur du Palais des papes
Festival d’Avignon
Réservations 04 90 14 14 14
www.festival-avignon.com

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