© Simon Gosselin
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Alice Laloy, marionnettiste et plasticienne, frappe encore une fois très fort. Le Ring de Katharsy expérimente de nouveau, après Pinocchio(live)#2 (http://unfauteuilpourlorchestre.com/pinocchio-live2-conception-et-mise-en-scene-alice-laloy-theatre-montfort-festival-paris-lete/), l’hybridation entre l’homme et la marionnette où le premier n’est plus qu’un pantin manipulé dans un monde dystopique. Transposant ici l’univers des jeux vidéo et sa dramaturgie spécifique sur un plateau de théâtre, ces marionnettes humaines sont désormais des avatars, nouvelles figures contemporaines et emblématiques d’un monde de plus en plus déréalisé, personnages et pions que deux joueurs s’affrontant manipulent sur un ring dominé par une étrange figure, diva futuriste haut perchée, Katharsy, matérialisation vivante de ce programme qu’elle arbitre de même. Pas de joystick mais la voix des deux gamers présents pour des ordres brefs et secs, réduits à l’essentiel : avance, marche, recule, frappe… pour animer dans une drôle de battle en quatre manches ces créatures absentes à elle-même, mues seulement par ces directives comminatoires.
C’est un jeu des plus singuliers et féroce qui les oblige à consommer convulsivement, de façon répétée, les livrant à une concurrence effrénée et mécanique. Se vêtir, ouvrir et vider un colis, manger, jeter ses déchets, pouponner, occuper un siège, aimer, n’est plus que compétition âpre et féroce. Ce n’est bientôt plus un jeu mais une guerre de plus en plus violente qui consiste à arracher à l’autre ce qu’il possède pour s’en approprier et marquer ainsi le plus de points. Jusqu’au meurtre… Pour qui connaît, l’impression étrange et malaisante de voir les SIMS (©) projetés dans l’univers ultra-violent de Street Fighter (©) …
C’est pourtant d’une beauté plastique et sonore absolue. L’importance ici de la bande son est à noter qui participe, comme l’ensemble du reste, à la réussie de cette création pour le moins anxiogène et pourtant captivante de bout en bout. Théâtre d’objet, théâtre chorégraphique pour un monde gris, mécanique – formidable machinerie théâtrale aussi qui voit les objets tomber des cintres et déterminer les enjeux – que quelques bugs, traits d’humour bienvenus, grippent parfois. Et ce qui stupéfie c’est la profondeur du travail corporel des danseurs-circassiens menés par Alice Laloy, cette maîtrise troublante du corps marionnettique qui estompe magistralement la frontière entre l’homme et la marionnette… Une gestuelle, des silhouettes conformes aux avatars virtuels, marches, courses, chutes et gestes doucement heurtés. Corps inanimés, désarticulés s’animant soudain, répondant aux ordres aboyés, pantins sans âme jamais, nulle émotion ne transparaissant, le visage neutre au regard toujours vide, impassibles quoiqu’ils exécutent, jusque l’innommable… C’est à la fois fascinant et glaçant. Se dessine à travers eux et sans rien de démonstratif ou de didactique le projet d’Alice Laloy dénonçant un monde de manipulation et de consommation à outrance, de plus en plus déréalisé, déshumanisé, générateur de violences. Mais il y a cette fin, poétique en diable, qui, comme dans Pinocchio, se refusant à l’inéluctable, lequel n’est jamais vraiment certain chez Alice Laloy. La révolte est possible, oui, un sursaut d’humanité peut jaillir et le gris s’effacer pour le mauve.
© Simon Gosselin
Le Ring de Katharsy, conception et mise en scène d’Alice Laloy
Ecriture et chorégraphie : Alice Laloy, en complicité avec l’ensemble de l’équipe
Assistanat et collaboration artistique : Stéphane Farison
Collaboration chorégraphique : Stéphanie Chêne
Scénographie : Jane Joyet
Création lumière : César Godefroy
Composition musicale : Csaba Palotaï
Ecriture sonique : Géraldine Foucault
Recherche et développement des accessoires et objets : Antonin Bouvret
Recherche, dessin et dévellopement de lâchés : Antonin Bouvret et Christophe Hugel
Renfort construction : Julien Aillet, Julien Joubert
Création costumes : Alice Llaoy, Maya-Lune Thieblemont, Anne Yarmola
Renfort costumes : Angélique Legrand
Création graphique et vidéo : Maud Guerche
Typographie : Misterpixel, Christophe Badani
Assistanat création vidéo : Félix Farjas, Malo Lacroix
Regard cascades : Anis Messabis
Assistant-stagiaire mise en scène : Salomé Baumgartner
Stagiaire costumes : Esther Le Bellec
Confection des décors : Les ateliers du Théâtre National de Strasbourg
Avec : Coralie Arnoult, Lucile Chalopin, Alberto Diaz, Camille Guillaume, Dominique Joannon, Antoine Maitrias, Nilda Martinez, Antoine Mermet, Maxime Steffan, Marion Tassou
Jusqu’au 16 décembre 2024
Durée 1h30
T2G, Théâtre de Gennevilliers
41 avenue des Grésillons
92230 Gennevilliers
Réservations : 01 41 32 26 26
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