Critiques // Le rêve et la plainte, de Nicole Genovese, mise en scène de Claude Vanessa, au Théâtre des Bouffes du Nord

Le rêve et la plainte, de Nicole Genovese, mise en scène de Claude Vanessa, au Théâtre des Bouffes du Nord

Déc 25, 2022 | Commentaires fermés sur Le rêve et la plainte, de Nicole Genovese, mise en scène de Claude Vanessa, au Théâtre des Bouffes du Nord

© Charlotte Fabre

 

fff article de Denis Sanglard

Le rêve et la plainte… Etrange petit bijoux de fantaisie, d’humour grave et surréaliste, d’un humour inquiet où il ne se passe rien, autrement dit beaucoup et plus encore. Banalité d’une conversation, entre vacuité et vanité, trouée de silence, égrenant le quotidien, les petits tracas et plaisirs d’une vie ordinaire. Nous sommes au Petit-Trianon, Marie-Antoinette vient de recevoir sa toute nouvelle cuisine, offerte par Louis XVI. C’est bien pratique pour y recevoir ses amis, la Princesse de Lamballe par exemple, le comte d’Artois, et deviser en prenant le thé de tout et de rien, des enfants, de son alimentation, des dernières mesures gouvernementales, de l’hôpital publique, de Facebook, de coworking, du changement climatique… Voilà, le choc thermique est là, inattendu. Nicole Genovese, l’autrice, signe là un petit chef d’œuvre d’une originalité réjouissante, mise en scène avec grande finesse par Claude Vanessa, qui ne serait autre que Nicole Genovese. Une collision frontale entre la fin de règne de Louis XVI et le début du XXIème siècle, un impact qui grésille, crépite et fait de sacrés étincelles. Entre la fin d’un règne qu’on ne voit pas et la fin du monde qu’on refuse de voir, son fracas couvert par de futiles et vains bavardages, avec l’accent du sud qui plus est, c’est dans les deux cas le même aveuglement et la même tragédie qui se dessine.

Le pouvoir, la société, le théâtre, tout ça est affaire de représentation, c’est donc tout naturellement sur la scène d’un théâtre de tréteaux, pour ne pas dire un échafaud, et devant des toiles peintes, que sont posées nos royales personnes, parfaitement conscientes de jouer là un rôle, devant un public choisi dans une mise en abyme subtile. On dira qu’on s’appelle Marie, Vero, Thibault, Alexandre, Steph’. On prend la pose, on mesure ses effets. Ça craque bien de temps en temps…mais on pondère. Nous sommes là entre gens de bien, entre amis, croit-on. On chante aussi. Du « proto-baroque » mais aussi Amel Bent.  Nicole Genovese pratique avec science et pour notre bonheur l’art du télescopage incongru, des anachronismes absurdes et hilarants. Les dialogues sont truffés de pépites, un florilège entre brèves de comptoir, idées reçues, coquecigrues et lieux communs. L’impression étrange de voir appliquer sur ce plateau étroit la théorie des cordes, les cordes ayant lâchées, réduite à un seul univers contenant catapultés et compressés là tous les autres. Mais bientôt sourd un malaise, des silences qui se prolongent, et desquels surgit une angoisse existentielle inattendue qui envahit chacun. Et brutalement fait basculer dans la science-fiction et l’apocalypse ce vaudeville métaphysique. C’est mené avec une maîtrise confondante, et pour ce faire il fallait aussi des acteurs au diapason de cette géniale dinguerie, ce tableau crû de nos vanités contemporaines. Ils le sont, sérieux comme des papes, à converser avec le plus grand naturel de scènes en scènes avec un humour pince-sans-rire, pressé à froid, au premier degré toujours, et l’accent de Nice en bandoulière. C’est du théâtre comme on en rêve et qu’on ne s’en plaigne pas, en ces temps difficiles, ça fait un bien fou.

 

© Charlotte Fabre

 

 

Le rêve et la plainte de Nicole Genovese

Mise en scène de Claude Vanessa

Avec Solal Bouloudnine, Sébastien Chassagne, Nicole Genovese, Francisco Mañalich, Nabila Mekkid, Maxence Tual et Angélique Zaini

Composition musicale : Francisco Mañalich

Création et régie son : Emile Wacquiez

Régie générale, création et régie lumières : Pierre Daubigny

Costumes : Julie Dhomps

Scènographie : Nicole Genovese et Pierre Daubigny

Peinture : Lùlù Zhang

Collaboration artistique : Adrienne Winling

 

Du 9 au 30 décembre 2022 à 20h

 

Théâtre des Bouffes du Nord

37bis boulevard de la Chapelle

75010 Paris

 

Réservation : 01 46 07 34 50

www.bouffesdunord.com

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