© Guy Delahaye
ƒƒƒ article de Sylvie Boursier
« Souvenons-nous toujours, Français, que la patrie, chez nous, est née du cœur d’une femme, de sa tendresse, de ses larmes, du sang qu’elle a donné pour nous. » disait Jules Michelet le grand historien laïque.
Elle s’appelait Jeanne, morte à 19 ans le 30 mai 1431, sans sépulture, nous n’avons d’elle aucun portrait. Mais il nous reste l’essentiel, ses paroles face aux juges de Rouen. Les transcriptions des débats forment la matière du Procès de Jeanne d’après les minutes du procès de condamnation de Jeanne d’Arc – 1431. La bergère analphabète y révèle un sens de la dialectique, et une finesse étonnante qui tournent ses prélats accusateurs en ridicule : « En quelle figure était saint Michel, quand il vous apparut ? », demande l’évêque. « Je ne lui vis pas de couronne ; et de ses vêtements, je ne sais rien », répond Jeanne simplement. « Était-il nu ? », reprend l’inquisiteur tordu. « Pensez-vous que Dieu n’ait pas de quoi le vêtir ? », Cauchon dépité en fut réduit à prolonger les interrogatoires à huit clos. « En quelle langue parlent vos Voix ? demanda l’un des frères – « meilleure que la vôtre, répliqua-t-elle. – Croyez-vous en Dieu ? – Mieux que vous. ». Elle maîtrise naturellement l’art oratoire.
Dans Le Procès de JeanneJudith Chemla incarne cette pucelle intelligente et combattive qui déjoue les pièges d’un questionnement régulier, comme scandé par un métronome. A la question piégeuse « Jeanne croyez-vous être en état de grâce » elle répond « Si je n’y suis Dieu veuille m’y mettre, si j’y suis Dieu veuille m’y tenir », son courage ouvre sur l’héroïsme au féminin, dont elle n’a pas conscience. Elle a peur, terriblement peur, on le voit par moment quand la comédienne rentre dans l’arène, quand ses genoux fléchissent. La mise en espace verticale montre l’accusée droite dans ses fers au milieu de la nef des Bouffes du Nord, offerte au ciel et au public, harcelée par les clercs, elle chante les arias comme d’autres prient, qui se meurent en suspension dans les limbes. Sur un écran en hauteur sous forme de médaillon octogonale apparaissent ses détracteurs, Jacques Bonnafé, un évêque Cauchon d’anthologie (Ah, sa scansion faussement dévote sur la défense de « l’Eglise militante » !), Thierry Bosc (Jean de la Fontaine) au juridisme spécieux, Jean-Claude Drouot (Jean Beaupère) sophiste gluant, qui affirment d’emblée leur supériorité spatiale mais aussi sociale. Jeanne de dos ne les regarde pas tandis que nous les voyons décontenancés devant tant de simplicité et de répartie. Aux voyeurs inquisiteurs elle oppose son acuité « Je ne crains pas les gens de guerre, car j’ai mon chemin tout aplani ».
Une jeune fille qui n’avait aucune vocation sacrificielle, battue, insultée et sans doute violée dans sa cellule, préfère aller au bûcher que de finir sa vie avec des fers et apprend à mourir. Judith Chemla est cette femme, au verbe si littéraire dans sa pureté originelle que Marion Bernède, l’auteur du livret, a la bonne idée de ne pas mettre au goût du jour. Pas de cris, ni de pleurs, juste l’eau lisse de son visage qui se crispe face à ses bourreaux. Plus rusée qu’Antigone, moins désespérée que Nina, la Jeanne de Judith Chemla force le respect dans le parlé comme dans le chanté. La mezzo soprane montre ses capacités vocales, devant une salle à l’écoute de ses moindres soupirs et se permet d’explorer les extrêmes audibles de la voix, comme une offrande au ciel.
© Guy Delahaye
Le Procès de Jeanne : conception de Judith Chemla et Yves Beaunesne sur un livret de Marion Bernède
Mise en scène : Yves Beaunesne
Musique : Camille Rocailleux
Scénographie : Damien Caille-Perret
Vidéo : Pierre Nouvel
Lumières : César Godefroy
Costumes : Jean-Daniel Vuillermoz
Avec : Judith Chemla, Mathieu Ben Hassen (Percussions et chant), Emma Gergely (Violoncelle et chant), Robinson Julien-Laferrière (Trombone et chant), Etienne Manchon Piano (synthétiseurs et chant), Marie Salvat (Violon, alto et chant), Hippolyte De Villèle (Cor et bugle)
A l’image : Jacques Bonnaffé, Thierry Bosc, Jean-Claude Drouot, Patrick Descamps, Jean-Christophe Quenon, Léonard Berthet-Rivière, Michel Vanderlinden, Eric Pucheu Martin Ladvenu, Antoine Laudet , Frédéric Cuif, Eliot Berger Un clerc anglais
Durée : 1h30
Jusqu’au 16 février 2025
Du mardi au samedi 20h, dimanche 16 février 15h, relâche jeudi
Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis bd de La Chapelle
75010 Paris
Réservation :
01 46 07 34 50
Tournée :
4 mars 2025 à l’Espace Michel-Simon, Noisy-le-Grand
8 mars 2025 à l’Opéra de Vichy
11 et 12 mars 2025 au Grand R, Scène nationale La Roche-sur-Yon
19 et 20 mars 2025 au Théâtre de Caen
25 mars 2025 au Centre d’Art et de Culture, Meudon
27 mai au 2025 au Théâtre Impérial de Compiègne
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