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Le Pouvoir des folies théâtrales, conception, mise en scène, chorégraphie et lumière de Jan Fabre, au T2G

Fév 12, 2015 | Commentaires fermés sur Le Pouvoir des folies théâtrales, conception, mise en scène, chorégraphie et lumière de Jan Fabre, au T2G

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

 

© Wonge Bergmann

© Wonge Bergmann

 

Veillée funèbre, enterrement de première classe et mausolée. Jan Fabre avec Le Pouvoir des folies théâtraleset dans un geste d’orgueil insensé dépouille définitivement le roi, dénonce la forfaiture de l’illusion qui le vêtait encore. Le roi est nu mais parade encore, une pauvre couronne de papier vissée sur le crâne. Mensonge qui perdure d’une illusion qui n’abdique pas. Ce mensonge-là, Jan Fabre le pointe du doigt et remonte à la source. Wagner, 1876, l’anneau du Nibelung. Premier mensonge et pas le dernier. Jan Fabre ainsi remonte l’histoire du théâtre et de la danse, égrène les créateurs qui bouleversèrent le règne de l’illusion, d’Ibsen à Müller, de Loïe Fuller à Pina Bausch. Qui en épuisèrent le contenu chacun à leur manière. Jan Fabre piétine tout ce fatras de référence. Fait table rase. Chaque évocation est déjà en soi un acte de destruction. Scène après scène, dans un enchevêtrement de références maniéristes et pompeuses, picturales et musicales, Jan Fabre épure jusqu’à l’os chaque action, chaque mouvement qu’il inscrit dans la réalité, celle du plateau et du temps réel, celle de la performance en cours. Montrer l’envers du décor, la forfaiture.

Seulement, c’est aussi un acte de résistance. Et par le principe de la répétition ad-nauseam, Jan Fabre démontre que le théâtre est avant tout un exercice paradoxal d’épuisement qui épuise jusqu’au sens, lequel disparaît au profit de l’action, du geste. Tout devient purement organique et mécanique. L’illusion de la grâce, de l’envol n’est que répétition et résistance à la répétition. Scène terrifiante de cette danseuse de dos, répétant un adagio, à peine éclairée, qui plus d’une heure, inlassablement, recommence son mouvement. Jusqu’à l’épuisement, la douleur et les larmes. Principe de la répétition appliqué systématiquement, principe de réalité qui immanquablement renverse les perspectives. Les grenouilles ne sont pas des princesses, les danseurs transpirent comme des veaux, s’écroulent avec leur partenaire épuisée. Le ballet devient une masse chancelante, hagarde. Et c’est la vérité nue, celle-là qui doit être montrée. Et c’est le théâtre d’aujourd’hui qui apparaît, celui de Jan Fabre. Celui de la performance planquée derrière les oripeaux d’un théâtre bourgeois illusionniste et illusoire, quoiqu’on en dise. Performance autrement dit résistance et pacte de transparence sans illusion autre que celle dénoncée, celle d’un théâtre en train de se faire… C’est le sens de la première scène qui voit l’accès au plateau refusé à celle qui ne peut répondre à cette énigme : 1876. Date clef qui ouvre à la modernité comme la seconde énigme et la dernière la clôt : 1982. Mais elle ouvre un nouveau champ opératoire, celui de la performance. Jan Fabre s’inscrit dans une continuité, sur les ruines d’une théâtralité qu’il mine de l’intérieur et fait mine d’exploser. « C’est du théâtre comme il était à espérer et à prévoir » hurle de douleur celle à qui l’on cingle les fesses. Ce fut le premier acte posé par Jan Fabre en 1982, le sésame pour une nouvelle ère.

Le Pouvoir des folies théâtrales est un manifeste paradoxal qui voit Jan Fabre s’ériger en tenant d’un nouvel ordre théâtral, rien de moins, et inscrire avec fracas et un sacré culot son nom au fronton de la modernité au même titre que Wagner et consort, à qui il vient de régler le sort. C’est justement dans ce frottement qui résonne comme une craie crissant sur un tableau noir entre ce théâtre acté, daté, dénoncé, et son devenir performatif dont il est le représentant, qu’émergent la pertinence et l’acte fondateur du théâtre de Jan Fabre. C’était en 1984. En 2015, malgré ses nouveaux habits, le roi est encore nu.

 

Le Pouvoir des folies théâtrales
Conception, mise en scène, chorégraphie et lumière Jan Fabre
Musique Wim Mertens
Costumes Pol Engels et Jan Fabre
Réalisation costumes 2012 Katarzyna Mielczarek
Avec Maria Defneros, Yorrith De Bakker, Piet Defrancq, Mélissa Guérin, Nelle Hens, Sven Jakir, Carlijn Koppelmans, Lisa May, Giulia Perelli, Morena Perna, Gilles Polet, Pietro Quadrino, Merel Severs, Nicolas Simeha, Kasper Vandenberghe, Fabienne Vegt

Du 6 au 12 février à 19h30, le 8 février à 15h – Durée 4h20

Théâtre de Gennevilliers / Centre Dramatique National de Création Contemporaine
41, avenue des Grésillons – 92230 Gennevilliers
Réservations 01 41 32 26 26
www.theatre2genevilliers.com

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