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« Le Polygraphe » de Robert Lepage et Marie Brassard, par Mitsuru Fukikoshi à la Maison de la Culture du Japon

Oct 18, 2014 | Commentaires fermés sur « Le Polygraphe » de Robert Lepage et Marie Brassard, par Mitsuru Fukikoshi à la Maison de la Culture du Japon

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

ad5c401608a34c3827b1c12b55f6e20e © Nobuhiko Hikiji

Trouble triangle amoureux. Un médecin criminologue transfuge de l’Allemagne de l’Est. Une comédienne interprète d’Hamlet et d’un thriller. Un étudiant gay cocaïnomane et adepte du sadomasochisme. Plus un meurtre non résolu qui ressurgit du passé. Et un polygraphe – détecteur de mensonge – qui ajoute au mystère de cette pièce étrange et d’un onirisme noir de Robert Lepage et Marie Brassard. Suspecté du meurtre de son amie, soumis au polygraphe sans qu’il ait accès au résultat, un étudiant en science politique ayant pour thèse le mur de Berlin est rongé par le doute d’une culpabilité éventuelle. Sa voisine, jeune comédienne, est engagée pour tourner un thriller qui retrace ce meurtre dont elle ignore tout. Elle tombe amoureuse d’un criminologue ayant franchi le mur de Berlin et qui fut celui qui interrogea l’étudiant sans lui communiquer le résultat…

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Étrange pièce, cauchemar poisseux et glacé, glaçant. Entre passé et présent, fiction et réalité, mensonge et vérité les frontières ici sont fragiles et mouvantes. La mise en scène de Mitsuru Fukikoshi est d’une très grande élégance et fluidité mais surtout d’une formidable inventivité. Usant astucieusement de la vidéo, de la lumière et de l’ombre, il déstructure la pièce de Lepage pour en donner une version flottante où tout semble instable. Où règne l’ambiguïté. Des images étranges surgissent de la réalité, semblent l’absorber tout entière, et participent de cette interrogation permanente, épaississant un peu plus à chaque fois le mystère. Le temps est parfois suspendu. Ou étiré. Tout semble n’être qu’illusion. La mise en scène procède par emboitements successifs comme ses poupées russes offertes en cadeaux au personnage féminin. Un emboitement vertigineux ouvrant des perspectives multiples qui fait sauter les maigres repères auxquels nous tentons de nous accrocher avant de lâcher prise. Mitsuru Fukikoshi ouvre le champ des possibles, renverse en permanence les perspectives, sans jamais opter pour un point de vue unique. C’est dans le vrai sens du terme une mise en scène qui parfois emprunte au surréalisme. Une interprétation des faits complètement subjective, fantasmée même.

© Maison de la culture du Japon à Paris, 2014

Ce qui rend le malaise palpable, la recherche de la vérité impossible. En fait ce n’est pas cette vérité qui semble importer, savoir qui a tué ou non, mais le délitement de cet étrange trio lié par ce meurtre de façon aussi singulière. Leur personnalité aussi. Le meurtre agit comme un révélateur et fait sauter les apparences, met à nu leurs fragiles identités. Chacun des interprètes porte aussi une part d’étrangeté, quelque chose d’indéfinissable qui ne permet jamais de les saisir totalement. Midori Laurence Ota semble toujours au bord du gouffre, comédienne happée et bientôt dépassée par son rôle. Le danseur Kaiji Mariyama possède une formidable présence, fébrile et inquiète. Mitsuri Fukikoshi est un policier insaisissable, imprévisible. Tous trois sont comme rongés par ce meurtre qui pourrit leur relation. Mais n’est-ce pas là encore un mensonge, une illusion.

Le Polygraphe
De Robert Lepage et Marie Brassard
Mise en scène de Mitsuru Fukikoshi
Avec Kaiji Moriyama, Midori Laurence Ota, Mitsuru Fukikoshi
Production Tokyo Metropolitan Theatre
Maison de la Culture du Japon
101bis, quai Branly
75015 Paris
Du 9 au 10 octobre 2014 à 20h, le 11 à 16h
Réservation 01 44 37 95 95
www.mcjp.fr

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