© Christophe Renaud de Lage
ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
On pourrait commencer par additionner les chiffres et les superlatifs : 13h de spectacle (en comptant les entractes), composé de 7 pièces, parties ou chants (Le Chant de l’abandonné, Le Chant de l’endormie, Le Chant de l’aveugle, Le Chant traversé, Le Chant du véritable abandonné, Le Chant de la réunion, Le Chant d’Auguste), soit le spectacle le plus long de la 76ème édition du Festival dont la gestation et l’aboutissement a duré 7 ans, 17 comédiens assurant 60 personnages, 200 costumes, sur le plateau de la Fabrica aussi grand que celui de la Cour d’honneur du Palais des Papes.
Mais est-ce que cela importe ? Le Nid de cendres du jeune auteur et metteur en scène Simon Falguières est bien comme son sous-titre l’indique une « Épopée théâtrale » qui entraîne son public dans une odyssée, une aventure, une expérience, qui est un don du Dieu du théâtre pour tout spectateur ayant la chance d’être présent.
Le Nid de cendres est la narration d’un monde coupé en deux : celui des hommes qui fuient la révolte et la destruction de leur monde pour entrer dans l’errance et dans un nouveau monde dévasté et celui des contes, qui n’est pas sans drames. Peut-on passer de l’un à l’autre, réunir l’un et l’autre ?
Le Nid de cendres comme son grand frère Ma jeunesse exaltée d’Olivier Py, auquel il rend un hommage discret par la présence de servantes (lumière sur haut pied qui reste allumée quand le théâtre est fermé) en écho à son spectacle éponyme, est une déclaration d’amour au théâtre et fait vivre au public une sorte de communion théâtrale. On entre dans Le Nid de cendres immédiatement, sans effort, d’abord pris par la main par la belle Sarah dans sa grande robe de velours rouge (formidable Camille Constantin da Silva) qui vient (notamment car chaque comédien joue au moins 3 rôles) assurer les prologues et toutes les transitions, amusant par ailleurs beaucoup le public par ses recommandations et sa satisfaction, après comptage, de le voir encore présent et à l’heure après chaque interruption. « C’est du masochisme ou ça leur fait du bien » demande-t-elle à son père ? « Un peu les deux » sans doute. Ce n’est pas faux… Tous ces compagnons et compagnes d’épopée méritent d’être cités, car ils contribuent tant par leurs individualités marquées que par leur évidente énergie collective à cet esprit de compagnie qui semble évident jusque dans les saluts. John Arnold est vraiment un roi de conte de fée, superbe dans sa magnificence comme dans sa déchéance, et un chef de troupe de théâtre itinérant (« Le théâtre des campagnes ») bienveillant, sans être trop paternaliste, acharné au travail, et soucieux des détails, évoquant Molière, jusque dans le nom d’Argan qui lui a été attribué. Charly Fournier campe un président (Hollande) devenu cartomancienne irrésistible, assurant un autre joli rôle tout de blanc vêtu, du Temps, dont l’idée n’a pas été assez exploitée ou insuffisamment utilisée au long des 13 heures de spectacle. Mathias Zakhar joue à merveille M. Badile, diablotin souvent, inquiétant parfois, doublé d’un valet simplet irrésistible. Lorenzo Lefebvre est un Gabriel solaire (avec des faux airs de Chéreau par moments très étonnants) jusque dans son déclin face à ce mal aimé de frère qu’il a lui-même contribué à faire nommer Brock, un « nom de clown », un clown triste devenant tyran, personnalité à fleur de peau que Charlie Fabert incarne idéalement. Frédéric Dockes offre un touchant Didi, Elise Douyère une émouvante Etoile, Mathilde Charbonneau est exaspérante à souhait en Reine blasée et cruelle et en Bélise impatiente et autoritaire. Tous les rôles de vraies héroïnes de contes ou du quotidien sont jouées par des comédiennes sensibles et délicates, telles Anne Duverneuil en Sophie, Victoire Goupil en Oerine, Pia Lagrange en princesse Anne, Charlaine Nezan en Louison et Manon Rey en Julie. Simon Falguière lui-même s’offre comme les autres comédiens plusieurs rôle dont celui de l’énigmatique comptable qui n’a pas de nom (qui pourrait être un M. K en hommage au nom de la compagnie) Stanislas Perrin est le géant-Jean, un époux et père inquiet et fiévreux, mais qui saura dans la générosité et la discrétion protéger ses deux êtres les plus chers. Son histoire personnelle est une illustration de l’universalité des drames intimes que subissent les humains tout au long de leurs propres odyssées, et auquel chacun apporte les réponses qu’il peut.
La scénographie d’Emmanuel Clolus et la mise en scène sont d’une fluidité et d’une richesse extraordinaires, sous ses faux airs de théâtre de tréteaux et donnent à cette épopée des aspects de féérie, y compris quand elle peut être qualifiée de désenchantée, oxymore pleine de sens dans cette traversée entre des mondes, dans lesquels on a l’impression d’errer. Ce qui est très étonnant c’est que cette pièce largement conçue lors de rendez-vous annuels estivaux dans un jardin charentais, donne maintes fois l’impression d’être jouée en extérieur. La dimension du plateau de la Fabrica et la hauteur sous ses cintres y contribue probablement, mais c’est évidemment surtout la magie de son scénographe qui permet au spectateur cette sensation d’immersion.
Quant au reste, c’est-à-dire le récit, il suffira de dire que le vieux théâtre sera sauvé, dans un monde certes dévasté, mais promesse d’une jeunesse qui reprend les choses en mains et ne le laissera pas s’écrouler.
© Christophe Renaud de Lage
Le Nid de cendres, de Simon Falguières
Texte et mise en scène : Simon Falguières
Dramaturgie : Julie Peigné
Scénographie : Emmanuel Clolus
Lumière : Léandre Gans
Son : Valentin Portron
Costumes : Lucile Charvet, Clotilde Lerendu
Accessoires : Alice Delarue
Assistanat à la mise en scène : Ludovic Lacroix
Avec : John Arnold, Clémence Bertho, Layla Boudjenah, Antonin Chalon, Mathilde Charbonneaux, Camille Constantin Da Silva, Frédéric Dockès, Élise Douyère, Anne Duverneuil, Charlie Fabert, Simon Falguières, Charly Fournier, Victoire Goupil, Pia Lagrange, Lorenzo Lefebvre, Charlaine Nezan, Stanislas Perrin, Manon Rey, Mathias Zakhar
Durée 13 h (dont entractes et pauses)
Jusqu’au 17 juillet, 11 h
La Fabrica
Avignon
Tournée en 2022-2023 :
Théâtre des Amandiers de Nanterre
Théâtre de la Cité de Toulouse
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