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Le moment psychologique, texte de Nicolas Doutey, mise en scène d’Alain Françon, à La Scala

Fév 05, 2024 | Commentaires fermés sur Le moment psychologique, texte de Nicolas Doutey, mise en scène d’Alain Françon, à La Scala

 

© Christophe Raynaud de Lage

ff article de Denis Sanglard

Sortir d’une création bien perplexe et se demander si tout ça qu’on a entendu, vu, c’est au choix du lard ou du cochon… Le moment psychologique est une énigme qui laisse le spectateur dubitatif, dans une situation inconfortable, ne sachant pas très bien par quel bout prendre la chose. L’auteur Nicolas Doutey ayant l’outrecuidance de laisser son texte en l’état, ne s’excusant pas même de nous laisser dans une certaine panade, à cogiter pour tenter de comprendre quelque peu, à résister fermement aussi pour ne pas laisser tomber l’affaire. Le rire irrésistible qui monte devant non la situation exposée, somme toute presque banale, et tout est dans le presque, mais reposant dans la forme et surtout sa formulation participe néanmoins d’une certaine et légère gêne, paradoxalement jubilatoire, devant cet objet non identifié (qui n’est pas sans faire penser, avouons-le, à Roland Dubillard) qui nous ferait presque prendre des vessies pour des lanternes. Mais ne serait-ce pas justement le but ?

Paul attend son ami Pierre quand arrive So, adjointe de Matt, une femme œuvrant en politique. Paul ne connait ni l’une ni l’autre. Mais Matt, ayant pris ses renseignements, est là pour proposer à Paul son engagement pour reformer l’objet et l’endroit du politique dans le monde. Paul qui n’y comprend rien, à la politique et à ce projet pour le moins incongru et à vocation utopiste, se laisse néanmoins tenter. Mais avant ça, il doit se préparer à faire une présentation… Se mêle à ça une histoire d’espionnage, de possible complot, un probable dysfonctionnement des services et les interventions de Pierre.

Ce qui frappe c’est qu’on ne comprend de prime abord pas grand-chose, ni au projet exposé par Matt, encore moins aux éléments de langage utilisés. Bien pratique, oui, cet usage immodéré d’une langue technocratique au service du politique qui peut ainsi exprimer une pensée profonde, trop sans doute, comme masquer son vide abyssal et sa vacuité. Langage purement politique, voire technique, mais qui chez Nicolas Doutey n’est pas exempt, loin de là, de poésie et d’une douce folie. C’est bien ça qui sauve la mise et suscite l’intérêt et la curiosité, cette satire à peine voilée d’un dévoiement du langage et de sa contamination au service, on peut dire ça, d’un projet qu’on devine ici utopique et bienveillant. Les dialogues semblent totalement absurdes mais participent d’une logique sémantique imparable cultivant sciemment l’ambiguïté.

Alain Françon signe une mise en scène minimaliste, rien de trop, et dirige les comédiens, tous excellents, comme d’habitude avec une précision maniaque toute horlogère. Surtout il se refuse à tout effet et laisse délibérément les dialogues aller à leur terme, sans jamais souligner d’un quelconque trait cette logorrhée singulière dite avec un naturel des plus confondant. Nul relâchement, les dialogues fusent, les réparties incongrues ne tombent jamais à plat, il y a même quelque chose de polissé et de courtois dans ces échanges où volent les coquecigrues, quelque chose vous rassurant dans toute cette étrangeté et provoquant de fait une certaine attention. Il y a une telle évidence dans ce qu’ils énoncent, une telle conviction et l’air de rien, qu’on est bluffé de leur art consommé de nous assener une vérité qui nous échappe de bout en bout, avec une langue qu’eux seuls maîtrisent, une vérité que béatement on finit par accepter à défaut de comprendre. C’est diablement efficace et retors sinon subversif. Nicolas Doutey, Alain Françon et ses comédiens ne nous donnent aucune prise dans ce vertige cocasse dans lequel nous tombons, qui ne montre rien d’autre et par l’absurde l’art de la manipulation.

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

Le moment psychologique, texte et dramaturgie de Nicolas Doutey

Mise en scène : Alain Françon

Avec : Louis Albertosi, Pauline Belle, Rodolphe Congé, Pierre-Félix Gravière, Dominique Valadié, Claire Wauthion

Scénographie : Jacques Gabel

Lumières : Emilie Fau

Regard costumes : Elsa Depardieu

Régie générale : Marien Helmlinger

 

Jusqu’au 11 février 2024

Du mardi au samedi à 20h30

Le dimanche à 15h

 

La Scala

13 bd de Strasbourg

75010 Paris

Réservations : 01 40 03 44 30

www.lascala-paris.fr

 

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