À l'affiche, Critiques // « Le Moche », « Perplexe » de Marius Von Mayenburg, mise en scène de Maïa Sandoz, Studio Casanova / Théâtre des Quartiers d’Ivry

« Le Moche », « Perplexe » de Marius Von Mayenburg, mise en scène de Maïa Sandoz, Studio Casanova / Théâtre des Quartiers d’Ivry

Mar 11, 2015 | Commentaires fermés sur « Le Moche », « Perplexe » de Marius Von Mayenburg, mise en scène de Maïa Sandoz, Studio Casanova / Théâtre des Quartiers d’Ivry

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

15961369064_7307b97f03_oPerplexe - TQIphpThumb_generated_thumbnail© danica.bijeljac

Deux pièces de Von Mayenburg, « Le Moche » et « Perplexe » montées comme un diptyque, auquel on rajoute « Voir Clair » -malheureusement pas vu ce soir là – pour former un triptyque, autrement dit des œuvres en regard qui résonnent entre elles de façon troublante. Où il est question de représentation, d’illusion, de théâtre… « Le Moche » et « Perplexe » du point de vue strictement dramaturgique ne se ressemblent guère mais l’association des deux, loin d’être boiteuse, est au contraire cohérente et jubilatoire. Maïa Sandoz réussit la jonction en respectant la dramaturgie de chacune sans que cela ne choque. Deux mises en scènes qui différent par leurs traitements, respectueux de la dramaturgie, mais dont les sujets – et leurs traitements – sont comme l’envers et l’endroit d’une même problématique, celui des apparences et de la vérité.

Lette est moche. Si moche que son patron lui refuse le droit de présenter en congrès son invention. Sa femme, qui ne regarde de lui que l’œil gauche, lui confirme qu’il est bien moche. Lette, au désespoir de tant de mocheté soudain révélée, change de visage. Vive la chirurgie plastique ! Devenu monstrueusement beau les problèmes ne font alors que commencer, la folie envahit le monde de Lette. Ça va vite, très vite. La mise en scène ne s’embarrasse pas de détails inutiles. C’est aussi concis, aussi bref, aussi précis que l’écriture de Von Mayenbourg. Les répliques fusent, ping-pong verbal, c’est direct et droit, évitant toute psychologie. Un jeu quasi expressionniste, austère et retenu, où les acteurs passent d’un personnage à l’autre – sauf Lette en sa laideur – sans artifice aucun, ni costume, ni transformation à vue. Pas d’unité de temps, de lieu. Une table et quelques chaises, un canapé, autour desquels on évolue peu, voilà pour le décor minimaliste. Explose alors toute la charge sarcastique de Von Mayenburg, son ironie féroce, envers cette société du paraître qui entraîne la perte de l’identité, fait exploser les relations humaines. C’est à la fois cocasse, absurde et totalement frappé.

Eva et robert rentrent de vacances. Eva découvre une nouvelle plante verte dans la cuisine. Premier détail qui cloche. Judith et Sébastien, qui devaient arroser les plantes, semblent davantage occuper les lieux. Si bien installés d’ailleurs qu’ils jettent Eva et Robert à la rue… Résumer « Perplexe » à ça c’est allé un peu vite en besogne. C’est bien plus étrange, bien plus fou et complexe. Ce ne sont que des emboitements successifs, un télescopage ahurissant, hilarant, de situations invraisemblables qui s’enchaînent, s’emballent de façon absurde. L’impression d’un zapping fou, d’un collage sans queue ni tête de pièces de boulevards, de vaudevilles, de comédies, de farces, de drame même, qui s’enchaîneraient de façon aléatoire selon un algorithme devenu incontrôlable. Histoires de couples, histoires de cocus, histoires d’amitiés et de relations perverses. Histoires à tiroirs comme un long rébus surréaliste, qui, comme son titre, laisse perplexe où parfois le malaise, latent, surgit de façon impromptue. Car le pire semble pouvoir advenir aussi. Ainsi donc de ce carton qu’on n’ose ouvrir de la représentation… Mais à bien y regarder de près, derrière ce qui pourrait paraître de la provocation ou du n’importe-quoi –au choix- c’est une magnifique et drolatique leçon de philosophie. Le mythe de la caverne de Platon revu et corrigé par Von Mayenburg au sortir de la douche. Rien de moins ! Démonstration par l’absurde, certes, mais implacable. Ce que nous voyons là, c’est du théâtre. Du théâtre poussé dans ses retranchements dont la mécanique est soigneusement démontée. Du théâtre voué naturellement à disparaître. Une illusion. Tout n’est qu’illusion et poussant la logique jusqu’à l’absurde, la folie, il semble bien qu’il n’y avait pas de représentation du tout… C’est très habile, et le retournement final est aussi imprévu que pour « Le Moche ». La mise en scène pétarade, rapide, sèche, sans jamais en rajouter dans la surenchère. C’est hautement jubilatoire. Les acteurs s’en donnent à cœur joie. Et dans l’absurde des situations incongrues qui s’accumulent, de plus en plus dingues (ah, la sodomie de l’élan…), des personnages de plus en plus étranges et barrés, voire franchement inquiétants, ils sont d’un naturel désarmant. Ce qui en rajoute à cette impression de perplexité qui ne nous lâchent guère, curieux de savoir où tout cela mène…

« Le Moche », « Perplexe » de Marius Von Mayenburg
Mise en scène, Maïa Sandoz
Collaboration artistique, Paul Moulin-Guillaume Moitessier
Musique, Christophe Danvin
Scénographie et Costumes, Catherine Cosme
Accessoires, Catherine Cosme-Isabelle Chasseriault
Lumières, Bruno Brinas-Bastien Peralta
Son, Bastien Peralta
Collaboration chorégraphique, Gilles Nicolas
Assistant mise en scène, Cyrille Labbé
Avec, Serge Biavan, Christophe Danvin, Adèle Haenel, Paul Moulin, Aurélie Vérillon

Du 9 au 22 mars à 20h, le jeudi à 19h
(La Trilogie « Moche », « Voir Clair » et « Perplexe » est proposée le samedi et le dimanche à 16h)
Studio Casanova
69 avenue Danielle Casanova
Ivry sur Seine
Métro Mairie d’Ivry
Réservations : 01 43 90 11 11
reservation@theatre-quartiers-ivry.com
www.theatre-quartiers.ivry.com

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