À l'affiche, Critiques // « Le Misanthrope » de Molière, mise en scène de Thibault Perrenoud au Théâtre de la Bastille

« Le Misanthrope » de Molière, mise en scène de Thibault Perrenoud au Théâtre de la Bastille

Nov 24, 2014 | Commentaires fermés sur « Le Misanthrope » de Molière, mise en scène de Thibault Perrenoud au Théâtre de la Bastille

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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Décapant ! Thibault Perrenoud signe une mise en scène de haute volée, dynamique, d’une énergie affolante. Et sacrément intelligente. C’est une plongée en apnée dans la psyché humaine avec toutes ses ambivalences, ses ambiguïtés. Alceste n’est pas plus misanthrope que vous et moi. C’est un homme en crise dans une société en crise, société du paraître qu’il dénonce avec rage. C’est un Alceste écorché, à vif, dans l’urgence d’un profond malaise. Les personnages sont dépoudrés, décorsetés, désamidonnés, dépouillés de toute affectation pour en atteindre l’essence même et disséquer leurs affects. Et si Alceste finit littéralement à poil c’est qu’il s’est dépouillé, lambeaux après lambeaux, de ce qui l’engonçait, pour atteindre la vérité. Sa vérité. La vérité toute nue n’étant plus une métaphore. Cette mise en scène c’est un tourbillon, un carrousel mondain affolé où les personnages se cognent, aveuglés ou lucides, violemment les uns aux autres. Amour, amitié, haine, cruauté, jalousie… C’est une spirale où la couleur des sentiments affolés claque sous le vernis, vernis qui craque de tout côté et émiette les personnages. La langue aussi claque. Langue on le sait superbe, alexandrins dont les comédiens s’emparent avec une aisance confondante. On pourrait pinailler d’entendre soudain une langue contemporaine qui brutalement s’immisce sans crier gare. Qu’importe en fait. Quand les sentiments s’épuisent la langue s’essouffle. On sursaute devant cette audace crâne d’entendre Alceste dire soudain comme à court d’argument à l’instant de la rupture « Dégage ». C’est que la langue aussi est un artifice dont il faut s’ébrouer. C’est audacieux mais le « chiche » de Thibault Perrenoud est gagnant. Ce n’est pas moderniser la pièce mais simplement démontrer sa toujours modernité. Mais aussi, Alceste à cet instant ne joue plus, ne veut plus jouer encore une fois, jouer de la rhétorique et du langage. Le langage est devenu un leurre aussi creux que le sonnet d’Oronte. Ce « dégage » est une gifle que Célimène entend bien plus sûrement que tout autre discours. Ce « dégage » signe sa défaite. Alceste est désormais vraiment nu, jusque dans sa parole. Nous sommes dans la fracture totale dans laquelle chacun s’est engouffré, s’est perdu et qui les révèle dans leur monstruosité, leur vérité. Célimène n’est pas plus coquette qu’Alceste n’est misanthrope. C’est un jeu de dupe, un jeu de rôle. C’est avant tout un couple qui se déchire à pleines dents et qui perd pied, la frontière entre le jeu et la réalité devenant de plus en plus ténue. Arsinoé n’est pas la prude confite mais une femme en souffrance à la violence inattendue. Ainsi Thibault Perrenoud ne cesse de culbuter les personnages d’un extrême à l’autre. Les comédiens, tous, s’offrent sans concession, et avec quelle force, à cette partition singulière et complexe, toute en tension, où les sentiments fluctuent à grande vitesse. Aucun personnage n’est laissé au bord. Et chacun d’être fouillé sinon fouaillé au plus profond pour en révéler des arcanes surprenants. Ce qui donne une formidable unité et un sacré tempo qui procède par accélérations successives comme collées aux humeurs d’Alceste, aux soubresauts de sa rage continue ou de Célimène quand elle marque le pas, toute aussi enragée et parfois inquiète. Même parler d’amour est ici un combat. C’est peut-être ça aussi qui caractérise cette mise en scène : on ne débat pas, on combat. Avec pour témoin dans cette arène singulière le public qui encage, encercle les personnages. Ce n’est plus la cour, mais le théâtre qui devient témoin de la folie d’Alceste, de la folie des hommes. Ce qui, dans un cas comme dans l’autre, revient sans nul doute au même.

Le Misanthrope (L’Atrabilaire amoureux) de Molière
mise en scène, Thibault Perrenoud
Dramaturgie, Alice Zeniter
Assistant à la mise en scène, Guillaume Motte
Scénographie, Jean Perrenoud
Lumière, Xavier Duthu
Avec Marc Arnaud, Mathieu Boisliveau, Chloé Chevalier, Caroline Gonin, Eric Jakobiac, Guillaume Motte, Aurore Paris, Thibault Perrenoud

Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011 Paris
Du 18 novembre au 20 décembre 2014 à 19h, dimanche à 15h
Relâche les 20/23 et 27 novembre, 1er et 7 décembre
Réservations 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com

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