© Franck Guillemain
ƒƒ article de Hoël Le Corre
Une femme enceinte endormie sur un transat, une pelouse synthétique qui évoque les beaux jours, les restes d’un anniversaire jonchant le sol ; une atmosphère paisible, un avenir heureux, un moment doux comme une sieste au soleil après un moment festif… Si ce n’était le titre du spectacle, on pourrait croire à cette douceur qui se dégage de cette ouverture. Pas de tergiversations inutiles, ni grandiloquentes, Elsa Granat n’y va pas par quatre-chemins, elle s’engouffre directement dans la brèche : à peine commence-t-elle à parler à cet enfant à venir, qu’elle évoque en creux, l’absence de la grand-mère qu’il aurait dû avoir… Et c’est parti pour un voyage fantasmagorique dans l’esprit de cette future maman. Elle se remémore cette période terrible où la jeune femme tout juste sortie de l’adolescence à perdu sa maman d’un cancer foudroyant, avant d’apprendre quelques semaines après que son père souffrait aussi de cette maladie. En nous invitant à l’intérieur de ses souvenirs, Elsa Granat vise juste, et puissamment, car plutôt que le déroulement réel des faits, c’est son ressenti d’alors qu’elle nous partage, c’est via le prisme de cette adolescente que l’autrice-metteuse en scène rejoue le traumatisme de la perte de ses parents. Excellente et efficace idée de nous faire entrer à l’intérieur de son cerveau et de ses émotions, cela permet d’éloigner à la fois le pathos et l’inutile besoin de vraisemblance. Au contraire, le dialogue improbable entre la femme, l’adolescente et la « vieille femme qui s’est pris 60 ans dans la gueule » avec ces cataclysmes, nous mène sensiblement au cœur de ce parcours du combattant qu’est l’accompagnement d’un parent vers la mort, et le deuil qui lui succède.
Se déploient alors une succession de scènes qui peut paraître décousue et peut légèrement déconcerter, mais c’est là aussi toute la force de cette pièce, en écho avec tout ce qui traverse en même temps quelqu’un qui vit tout ça : le temps s’étire ou se rétracte, les fantasmes se mêlent de délires, les espoirs s’entrechoquent avec les malheurs et les choses infimes du quotidien sont tantôt relativisées ou au contraire prennent une importance inattendues face à l’infinie universalité de la mort. Cela amène de très beaux monologues portés par une Mahaut Leconte attachante et émouvante tant dans sa jeunesse que dans sa tristesse. En plus du cheminement intérieur vécu par cette jeune femme, Le massacre du printemps met également en lumière l’entourage médical qui l’accompagne désormais au jour le jour, la prenant en charge ou au contraire, semblant l’abandonner à elle-même. Tout comme dans la nouvelle création de la compagnie King Lear Syndrom, Elsa Granat explore ce « camp d’en face », ce personnel soignant, fait des infirmières, médecins, spécialistes. Toute la complexité des relations patients-soignants-accompagnants dans la médecine occidentale est illustrée ici : les blouses blanches sont tout à la fois les adversaires, les intrus dans une vie censée être à l’abri de la maladie, ceux qui n’en font jamais assez, qui annoncent les mauvaises nouvelles, qui sont impuissants, autant que les alliés, les sachants, les expérimentés, les sauveurs parfois. L’espace mental dans lequel nous sommes nous les montrent par le prisme de celle qui accompagne le malade : l’humour permet de les déformer à l’envie et de les rendre savoureusement bouc-émissaires. La scène du tête-à-tête fantasmé avec l’oncologue est criante de vérité et d’émotion ! Et l’intelligence et l’humanité d’Esla Granat la pousse à donner en retour un droit de parole au personnel médical, avec pertinence et acuité. C’est réussi : l’empathie prend des deux côtés.
Finalement, il faudra bien, après avoir affronté la maladie, même après la défaite face à elle, trouver le moyen de s’en sortir, et même de reconstruire, de continuer à vivre, avec cette cicatrice impensable. A l’intérieur de soi, et aidé de l’entourage, il faudra trouver les forces. Ainsi, en forme d’hymne à la vie, résumé dans la phrase « mademoiselle, on ne meurt pas avec sa mère ». Le massacre du printemps nous rappelle que si le deuil clos une chose, il nous amène également au seuil d’une nouvelle vie…
Le massacre du printemps, texte et mise en scène d’ Elsa Granat
Dramaturgie : Laure Grisinger
Avec : Antony Cochin, Elsa Granat, Clara Guipont, Laurent Huon,
Mahaut Leconte, Hélène Rencurel et Gisèle Antheaume
Lumière : Véra Martins Son Antony Cochin et Enzo Bodo
Costumes : Marion Moinet
Régie son : John M.Warts
Avec la participation des musiciennes et musiciens amateurs de l’Harmonie des Deux Rives (Paris 13e), sous la direction d’Anthony Ropp :
Isabelle Audfraye, Jean-Sébastien Bante, Thibault Barre Villeneuve, Laure Beaumont, Didier Beutier, Catherine Blaye, Christian Boulissière, Marc Bredif, Joris Bricout, Delphine Bugner, Elina Chantreau, Clarisse Chatelard,Patrick Chocat, Clarisse Dave, Jules De Floras, Yoanne Dubernet, Victor Dubois, Mélanie Gros, Alice Hamelin, Yuna Hangouët, Lenka Ihnatova, Alban Jousse, Muriel Kaiser, Jean-Marc Lacave, Véronique Laudouar, Pascal Marselli, Bénédicte Mousset, Maya Nouvel, Fred Pech, Denis Pennequin, Pierre Pontier, Jeanne Bleuenn Renault, Quentin Savalle, Sylvie Soulé, Pierre Venel, Andrea Vielhaber, Patrice Willi, Michel Jeunet.
Du 9 au 25 mars 2023
Du lundi au vendredi à 20h
Le samedi à 18h
Durée : 1h35
Théâtre 13 / Bibliothèque
30 rue du Chevaleret
75013 Paris
Réservations : 01 45 88 62 22
www.theatre13.com
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