© Brigitte Enguérand
ƒƒƒ article de Sylvie Boursier
La Comédie-Française se lâche avec un Mariage forcé d’une liberté folle !!
L’intrigue est mince. Un riche barbon libidineux s’entiche d’une jouvencelle noble sans le sou, Dorimène. Ladite demoiselle ne compte pas passer à la casserole sans tirer ses marrons du feu. Sganarelle, le barbon, tombe sur un os, se met à douter et décide de rompre ses vœux. Il sera contraint au mariage manu militari par le camp adverse.
Noire et même outre noire cette comédie sur le fond, qui montre une société violente strictement régie par des rapports de prédation. Le marié malgré lui erre tel un ravi de la crèche tombé des nues, torturé par sa peur d’être cocufié. Il paie plein pot ses obsessions, sa velléité d’avoir à demeure un objet sexuel toute sa vie durant. Roué de coups, victime de quolibets et de sévices, il rétrécit comme une peau de chagrin. La proie devient prédatrice, en vient à priver son époux de tout attribut viril. Elle triomphe telle Célimène, veuve riche et libre. Entre temps, s’agite une succession de conseillers bouffis de suffisance à la scolastique vide de sens.
Le metteur en scène Louis Arene compose au Studio-Théâtre un spectacle d’une formidable invention. Des demi masques neutres à la couleur chair coiffent la tête des acteurs. On ne distingue que leur regard intense et le bas de leur visage. Comme les extraterrestres d’un film de science-fiction ils sont vêtus de costumes aux coutures apparentes, « spectres fragiles […] ils se jouent de la mort, dit Louis Arene, et sont tour à tour des clowns, des enfants effrayants et des fantômes grotesques » ni tout à fait nous, ni tout à fait autres. Cette dissonance ravie et excite l’imagination du public. Regard perçant, provocations, connivence avec les spectateurs, gestes cocasses, terreur, cavalcade, tout semble plus intense paradoxalement avec des comédiens à demi dissimulés qui s’engagent à fond. La scène prend des allures de bateau ivre, nous plongeons sur le sol d’une cale inclinée qui tangue d’un bord à l’autre au gré des bastonnades. Un sophiste obèse à la langue reptilienne, un radoteur à la tête de poire, des sorcières ninjas, des bohémiennes surgissent de lucarnes improbables, de souterrains, comme si une armée de zombis était à l’affut, prête à dépecer Sganarelle. La folie culmine lors de la noce, digne du Muppets Show.
Pour corser le tout, la distribution est dégenrée. Magnifique Julie Sicard qui tient la corde de bout en bout dans le rôle du cocu imaginaire ! Christian Hecq en Dorimène est une cocotte onctueuse et cynique. Le décalage est évidemment saisissant, les comédiens en jouent sans jamais tomber dans la caricature Ils sont entourés de Benjamin Lavernhe, Sylvia Bergé et Gaël Kamilindi. Tous sont chauffés à blanc.
Il faut saluer le remarquable travail de Colombe Lauriot Prévost sur les costumes, qui contribue largement à cette esthétique hors normes.
Venez voir ces monstres sacrés comme vous ne les avez jamais vus dans une mise en scène qui décoiffe ! Le Mariage forcé, vieux de 400 ans, se refait une beauté, génial Molière qui fait des épousailles une bouffonnerie cruelle et écorne au passage le patriarcat ! Bravo !!!
© Brigitte Enguérand
Le Mariage Forcé de Molière
Mis en scène par Louis Arene
Dramaturgie : Laurent Muhleisen
Scénographie : Éric Ruf et Louis Arene
Costumes : Colombe Lauriot Prévost
Lumières : François Menou
Son : Jean Thévenin
Masques : Louis Arene
Collaboration artistique : Lionel Lingelser
Avec : Sylvia Bergé, Julie Sicard, Christian Hecq, Benjamin Lavernhe, Gaël Kamilindi
du 20 février au 1er Mars 2024
Durée du spectacle : 1 h
Théâtre du Rond-Point
2bis av. Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Réservation 01 44 95 98 00
www.theatredurondpoint.fr
Création vue en mai 2022 au Studio de la Comédie-Française
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