© Adrien Lecouturier
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Le gorille vous salue bien. Pour échapper au zoo, un singe captif, arraché de sa forêt, décide d’imiter en tous points les hommes. Jusqu’à acquérir la parole. Ses efforts continus à singer l’homme jusqu’à en obtenir le statut et sa liberté, d’un trait de plume obtenir une âme, passant du statut de phénomène de music-hall à bientôt richissime rentier, lui ouvre les yeux sur la vanité des hommes. Paraître n’est pas être. Il n’y a pas d’intégration dans l’imitation, pas de liberté. Le bonheur absolu et fragile d’être soi n’existe pas dans cette volonté têtue à être ce que les autres veulent que vous soyez. La différence ne doit pas être, annihilée par la société qui se refuse à l’altérité au nom de l’intégration. Constat cynique. Voilà ce que notre gorille, nostalgique de sa forêt, nous conte. « Je veux retourner », cette phrase sonne comme un échec devant une société qui le tolère mais ne l’accepte pas. Ce n’est pas l’homme accompli que l’académie récompense mais le singe qui imite. Terrible et lucide conclusion. Amertume de découvrir au long de cette douloureuse métamorphose la part d’inhumanité en l’homme, de bestialité sous les conventions policées. C’est drôle et tragique tout à la fois, sensible et implacable dans son propos. Cette adaptation d’un texte de Kafka, « Rapport pour une académie », mise en scène par Alejandro Jodorowsky, une petite merveille de haute précision et de simplicité, est porté haut par Brontis Jodorowsky. Un jeu d’une grande finesse, d’une belle intelligence. Et surtout un travail corporel époustouflant où la frontière entre le singe et l’homme s’estompe sans jamais vraiment s’effacer. Nulle caricature grossière, pas de singerie simiesque ici, mais une ambiguïté fascinante, qui vous happe, où la métamorphose accomplie tel un palimpseste se superpose sans effacer les traces. Ni gorille, ni homme, les deux à la fois, ce singe-là est une chimère sans que nous puissions déterminer qui de la bête ou de l’homme, physiquement, domine. Et cette ambiguïté ne fait que traduire la souffrance de ce personnage déchiré. Ce qui frappe c’est la douleur insondable dans le regard de Brontis Jodorowsky, celle-là même que notre gorille, effet de miroir, voit dans cette femelle singe qu’il a recueilli chez lui, cette expression des êtres domestiqués n’ayant pas renoncé à leur état sauvage, leur liberté, et qu’il ne supporte plus de voir. C’est poignant, rehaussé par un jeu d’une grande subtilité, d’une fine acuité, jamais d’effet ni d’outrance, qui donne au texte toute sa puissance corrosive, préservant cette création de n’être qu’une performance physique.
© Adrien Lecouturier
Le Gorille d’après Franz Kafka
Texte et mise en scène Alejandro Jodorowsky
Traduction Brontis Jodorowsky
Musique Alejandro Jodorowsky
Lumière Arnaud Jung et Jean-Michel Bauer
Costume Elisabeth de Sauverzac
Prothèse Sylvie vanhelle
Assistante à la mise en scène Nina Savary
Avec Brontis Jodorowsky
Du 4 septembre au 3 novembre 2019
À 21 h du mardi au samedi, dimanche à 18 h
Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame des Champs
75006 Paris
Réservations 01 45 44 57 34
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