À l'affiche, Critiques // Le faiseur de théâtre, de Thomas Bernhard, mise en scène de Christophe Perton, au Théâtre Dejazet

Le faiseur de théâtre, de Thomas Bernhard, mise en scène de Christophe Perton, au Théâtre Dejazet

Jan 15, 2019 | Commentaires fermés sur Le faiseur de théâtre, de Thomas Bernhard, mise en scène de Christophe Perton, au Théâtre Dejazet

© Fabien Cavacas

 

 

ƒƒ article de Denis Sanglard

Bruscon, le grand Bruscon du moins le prétend-il, le grand Bruscon donc, comédien d’état, écrivain, « entre Shakespeare, Goethe et Voltaire », pas moins, est en tournée. Echoué dans cette ville minable dont il bute sur le nom, Utzbach, deux cents habitants, ville aux relents d’odeur de porc, dans ce théâtre misérable et moisi, pourri d’humidité, le grand Bruscon flanqué de sa famille, épouse qui tousse et enfants tyrannisés, « anti-talents » patentés et taiseux, vitupère, éructe, radote et doute. Longue logorrhée atrabilaire, misanthrope, misogyne où se disputent l’amour et la haine du théâtre, des comédiennes, du public, des critiques, de la musique, la détestation de l’Autriche – tous des nazis – et de ses représentants. C’est méchant, acide, drôle et jubilatoire, c’est du grand Thomas Bernhard. Christophe Perton signe une mise en scène des plus sobre, une ligne claire, concentrée sur le texte et le jeu subtil d’André Marcon qui n’en rajoute pas plus que cela. S’appuyant sur le texte qu’il exhausse avec un jeu tout en finesse, sans outrance. Pas d’effet de manche, Bruscon respire la méchanceté le plus naturellement du monde, odieux en toute simplicité. Un monstre froid. Autour duquel, soumise, gravite une famille réduite à la mutité ou quasi. Une épouse accusée d’hypocondrie, un fils plus doué en bricolage qu’en art dramatique, une fille soumise et obéissante. Plus un aubergiste de bonne volonté vite agacé devant les exigences de Bruscon. Ces quatre-là réduit à la figuration, à n’être qu’un public captif par cet histrion odieux qui accapare l’espace et la parole, les humilie, n’ont pour s’exprimer que leur silence et leur présence. Ici corps et regards sont fort bavards. Qui ne dit mot ne consent pas et n’en pense pas moins. C’est un autre langage, muet, qui s’oppose à la langue vipérine de Bruscon. Ce mouvement, cette agitation relative qui entoure Bruscon, à l’image du fils véloce et tournoyant, ancre définitivement ce dernier dans une immobilité, une pesanteur intellectuelle que dénonce son discours qui tourne en boucle. Christophe Perton joue de ce paradoxe. Et ce décor qui reproduit le théâtre Déjazet, un effet miroir troublant, une habile mise en abyme de fait nous rend, nous aussi, captif de ce goujat et témoin d’une comédie humaine pathétique. On peut trouver à raison ce texte bavard, un peu long, mais il faut accepter simplement de se laisser porter par ce verbe caustique qui joue de la répétition où l’amertume de Thomas Bernhard masque à peine une lucidité douloureuse devant la médiocrité de ses contemporains. Cette alacrité n’est pas tendresse déguisée mais exigence de ce qui pourrait être et n’est jamais atteint. C’est une langue pointue, tranchante et qui dépiaute à vif et jusqu’à l’os notre pauvre et petite humanité. Le portrait d’Hitler dans cette salle des fêtes nauséabonde n’est que le rappel de ce que Thomas Bernhard dénonce. André Marcon lui saisit et maîtrise cette langue avec un bonheur évident, pliant sous elle, pour trouver l’âme étroite de Bruscon et sa part d’humanité dans ce doute au final qui le broie. Devant la salle désertée soudain, le public enfui, et tandis que gronde l’orage, cette ultime parole, une épitaphe ou peu s’en faut : « Comme si je l’avais deviné » signe sa fin.

 

© Fabien Cavacas

 

Le faiseur de théâtre, de Thomas Bernhard

Texte français d’Edith Darnaud (L’Arche Editeur)

Mise en scène de Christophe Perton

Scénographie Christophe Perton et Barbara Creutz

Création son Emmanuel Jessua

Création costumes Barbara Creutz assistée de Pauline Wicker

Collaboration artistique Camille Melvil

Régisseur général Pablo Simonet

Administratrice de production Cendrine Forgemont

 

Avec André Marcon, Jules Pelissier, Agathe L’Huillier, Eric Caruso, Manuela Beltran

 

Du 14 janvier au 09 mars 2019

Du lundi au samedi à 20h30

 

Théâtre Dejazet

41 bd du Temple

75003 Paris

 

Réservations 01 48 87 52 55

www.dejazet.com

 

 

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