© Fabien Cavacas
ƒƒ Article de Victoria Fourel
Le comédien Bruscon et sa famille sont sur la route. La route des théâtres de province, branlants, oubliés, crasseux. Et le comédien Bruscon ne va pas manquer de le faire remarquer. Dureté du métier d’artiste, incompétence crasse du monde autour… Ce texte acerbe et drôle de Bernhard nous emmène dans un vertige de doutes et de confrontation entre monde réel et spectacle.
Dès le départ, il existe une incertitude dans l’espace. Cette belle scénographie représente-t-elle le plateau du théâtre – ou plutôt de l’auberge – de cette petite ville ? Ou bien la salle ? Entre codes classiques du fauteuil rouge et esthétique presque circassienne, ce décor paraît petit sur l’immense plateau des Célestins. Plein de possibilités, il est d’une grande complexité, et joue très bien son rôle tout au long du spectacle.
Ce texte met en lumière un certain nombre de sujets passionnants, avec humour et droiture. Le personnage de Bruscon a des rapports catastrophiques avec sa famille, qui lui sert de troupe, avec le public, inculte et ingrat, avec la province, ennuyeuse et pauvre d’esprit. Et André Marcon en donne un portrait parfaitement énervant, drôle et affreusement méchant. Avec emphase, il enchaîne les piques désespérantes, et le public rit. Mais au fond, cela nous met face à une réalité : l’artiste, c’est celui qui est en marge perpétuelle, forcé de se battre contre des lieux qui ne veulent pas toujours de lui. Isolé dans son exigence, personne n’est jamais à la hauteur. Et isolé, il le restera.
Bruscon parle, et les autres écoutent. Joli jeu de comédiens que ces tirades sombres et affreuses jetées aux visages des autres, qui semblent avoir capitulé. Cela interroge bien sûr la famille. Qui est toujours nulle et sans talent, mais qui, à la fin, est la seule à bien vouloir nous suivre contre vents et marées. On lit l’aveuglement et l’incompréhension chez le personnage. Les femmes, les enfants, les spectateurs, les petites villes. Tout y passe. Et on lit aussi le doute. A travers ces vitupérations sans fin, le comédien finit par se demander si vraiment, est-ce que ça valait le coup de faire tout ça ?
Peut-être l’ensemble est-il un peu appuyé, et l’énumération de ses griefs un peu longue. Il nous semble avoir fait le tour de la question, au bout d’un moment de spectacle, la difficulté ayant peut-être été de faire le tri dans tout ce qui se dit de savoureux. On est donc ravi quand le spectacle change de perspective et nous surprend, dans les quelques instants avant la représentation dans la représentation. La mise en abyme est bien faite et l’on devine alors une nouvelle profondeur chez tous les personnages.
Il est toujours un peu étrange d’entendre un comédien parler de théâtre face à un public. Et ici, peut-être que le spectateur reste un peu extérieur au propos profond du spectacle. La faute, peut-être, à l’excès de répliques piquantes et drôles. Parce que, ce qui se joue, c’est la place de l’artiste. Sa solitude, qu’il ne faut pas encourager, son regard qui vire au dédain s’il perd sa candeur. C’est un portrait un peu triste de l’artiste qui pleure quand il ne se sent pas briller.
© Fabien Cavacas
Le Faiseur de Théâtre, de Thomas Bernhard
Mise en scène Christophe Perton
Scénographie Christophe Perton et Barbara Creutz
Collaboration artistique Camille Melvil
Régie générale Pablo Simonet
Costumes Barbara Creutz assistée de Pauline Wicker
Avec André Marcon, Agathe L’huillier, Eric Caruso, Jules Pelissier et Barbara Creutz
Du 9 au 13 avril 2019 à 20h
Théâtre des Célestins
4 rue Charles Dullin
69002 Lyon
Réservation 04 72 77 40 40
www.theatredescelestins.com
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