© Carole Parodi
ƒƒ Article de Victoria Fourel
Il fut un temps où manquer le dernier métro n’était pas qu’une affaire de confort. Dans le Paris occupé, on se doit d’être chez soi à l’heure. On va au théâtre, aussi, pour se réchauffer. Et on tâche de contourner la censure, d’exister encore sur scène, si on le peut. Le metteur en scène emblématique Lucas Steiner, lui, disparaît. Parce que juif, il s’évapore, et alors qu’on le pense parti à l’étranger, depuis une cave, continue de hanter son théâtre.
Adaptation et hommage, ce spectacle théâtralise avec délicatesse le cadre du film original, donnant le petit décalage nécessaire pour que le fait de monter ce Dernier Métro sur scène ait un sens. On est dans une direction moderne, mais qui fait appel aux théâtres de tréteaux : la troupe est présente en permanence, on s’entoure du moins de décors lourds possibles. Le tout repose sur un rythme enlevé et énergique, qui met du temps à prendre sa place, mais qui, une fois installé, fonctionne parfaitement.
Le ton est réaliste et malgré tout, il reste léger. Comme si le théâtre était un havre de paix, où les amours, les ambitions et les personnalités s’entrechoquaient, comme si rien au dehors n’avait lieu. Ni guerre, ni prisonniers, ni censure. C’est intéressant, car le huis-clos imposé par le plateau nous enferme avec l’équipe du théâtre. Ainsi, nous sommes nous-mêmes dans la peau du metteur en scène juif, caché en sa propre demeure, dissimulé mais spectateur des répétitions et du spectacle de sa propre troupe.
Le spectacle gagne en intensité et en tenue au fur et à mesure, jusqu’à ce que la première représentation de la pièce approche, rempart à la violence et à la censure. Il montre alors toute son ingéniosité, avec des astuces et des procédés de mise en scène malins et novateurs. A ce moment, on est au maximum à la fois de la portée symbolique de la scène face à la barbarie, et de la précision des comédiens, qui jonglent dans cette mise en abyme qui doit être réjouissante à interpréter. On regrette simplement que le rythme et l’intensité ne parviennent pas à se maintenir au même niveau selon les moments du spectacle. De la même façon, les ambiances du dehors et du dedans ont du mal à cohabiter et à exister au plateau tout au long du spectacle.
C’est un spectacle simple et réaliste du point de vue de la direction d’acteurs et de l’atmosphère générale, mais très complexe dans son fond, à la fois chronique historique, histoire d’amour, manifeste pour l’art en tant qu’arme de résistance. Difficile de tout faire parvenir de façon égale et de front, mais l’ensemble est un beau moment tenu et exigeant, qui fait bien de nous rappeler la place du spectacle dans une époque troublée.
© Carole Parodi
Le Dernier Métro, de François Truffaut
Mise en scène Dorian Rossel
Scénario et dialogues François Truffaut, Suzanne Schiffman et Jean-Claude Grumberg
Collaboration artistique Delphine Lanza
Dramaturgie Carine Corajoud
Costumes Mélanie Ramos-Mozayeni
Direction technique et création lumière Matthieu Baumann
Son Ludovic Lacroix
Avec Delphine Lanza, Julie-Kazuko Rahir, Erik Gerken, Thomas Diébold en alternance avec Fabien Coquil, Sophie Broustal, Aurélia Thierrée, Leslie Granger, Bérangère Mastrangelo, Mathieu Delmonté, Antoine Courvoisier, Pauline Parigot, Cloé Lastère
Du 19 septembre au 4 octobre 2018 à 20h
Durée 1h35
Théâtre des Célestins
4 rue Charles Dullin 69002 Lyon
Métro Bellecour
Réservations : 04 72 77 40 00
www.theatredescelestins.com
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