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Le Chevalier à la rose, de Richard Strauss, livret de Hugo von Hofmannstahl, direction Henrik Nánási, mise en scène de Krzysztof Warlikowski, au Théâtre des Champs-Elysées

Mai 30, 2025 | Commentaires fermés sur Le Chevalier à la rose, de Richard Strauss, livret de Hugo von Hofmannstahl, direction Henrik Nánási, mise en scène de Krzysztof Warlikowski, au Théâtre des Champs-Elysées

 

© Vincent Pontet

ƒƒƒarticle de Denis Sanglard

C’est un Chevalier à la rose qui s’inscrit dans l’air du temps, woke diront certains avec mépris (entendu ce soir-là). Pourtant c’est d’une intelligence et d’une finesse, approfondissant le livret d’Hugo von Hofmannstahl sans le dénaturer, prouvant là sa modernité heureuse qui n’a rien de provocatrice. Tout commence par une vidéo, deux femmes dans un lit au sortir d’une nuit d’amour. Scène de tendre complicité sans ambiguïté. Le chevalier est possiblement une femme. Warlikowski entretient le doute et s’il respecte la convention du travesti, « rôle à culotte » cher à Mozart, il le détourne et renverse les perspectives ; ce chevalier-là serait non binaire, voire franchement gender-fluid. Confusion des sentiments, confusion des sexes, confusion du genre, pour Warlikowski c’est du pareil au même. Il ne s’agit plus de travestissement mais de révélation. L’ambiguïté du chevalier, adolescent androgyne, l’image qu’il projette volontairement ou non, et le désir sexuel qu’il suscite, jusqu’au harcèlement et la prédation vorace du Baron Ochs von Lerchenau, révèle à chacun des protagonistes leur propre ambivalence et le trouble inattendu qu’il engendre par cette révélation même. L’amour ici fait fi du genre, fi du sexe, seul comptent les sentiments, la naissance du désir, son accomplissement et sa fin. Le sacrifice de la Maréchale s’effaçant, Sophie et le Chevalier enfin réunis, ce dernier redevient ce qu’il pourrait être aussi, ce que le prologue suggérait, une femme. Et cette définition accolée, « une comédie en musique » sans être usurpée n’est en fait qu’un faux-nez.

Certes Warlikowski appuie sur le comique, voire la farce comme il est écrit dans le piège tendu au baron libidineux, mais sourd une mélancolie tenace, celle d’un monde en pleine mutation, décadent, valsant à contre-temps sur un volcan, et qui traverse l’œuvre, mélancolie portée par la Maréchale. Femme sur le déclin, vieillissante, ayant pour amant plus jeune qu’elle un tendron éruptif de 17 ans, bouleversante non dans le refus de sa condition mais dans l’acceptation lucide d’un sacrifice qu’elle sait inéluctable où la fin était déjà dans le commencement. Il faut observer dans la vidéo du prologue comment la Maréchale scrute attentivement le visage de son amant juvénile endormi pour comprendre le choix de la rupture, de l’abandon qu’avant même l’apparition de Sophie elle envisage et annonce à Octavian au premier acte. « Aujourd’hui ou demain tu t’en iras, et tu me quitteras pour une autre femme, plus jeune et plus belle que moi (…) Le jour viendra de lui-même. » Le triomphe de l’amour entre Sophie et Octavian n’est pas une défaite mais la reconquête douloureuse et sereine de soi pour la Maréchale, consciente de sa désormais solitude et fragilité à venir. Laquelle rentrera seule chez elle où l’attend le Maréchal, ultime vidéo qui conclut cette mise en scène à la théâtralité volontairement exacerbée tant par les costumes de parade que par une scénographie (signés Malgorzata Szczesniak) où la chambre de la Maréchale est le lieux de toutes les transformations, tour à tour loge et salle de spectacle au couleurs du Théâtre des Champs-Elysées, ce vieux-rose si singulier. Warlikowski souligne ainsi combien ce monde-là, ce siècle à l’aube d’une première guerre mondiale, n’est qu’un théâtre mondain, monde de faux-semblant, une comédie sociale et de mœurs où chacun au final joue son rôle, aussi extravagant soit-il, et que du haut de son balcon la Maréchale observe avec attention, jamais dupe, et qui jamais ne dérogera aux apparences, sinon aux conventions, de son rang.

Véronique Gens, port de tragédienne, est la Maréchale, rôle qu’elle porte haut, laquelle bouleverse franchement par l’intelligence et l’acuité de son jeux, portés par une voix aristocratique aux inflexions inouïes, de la soie prête à se déchirer devant les sentiments contradictoires qui l’assaille et le sacrifice consenti. Son monologue sur le temps qui fuit, face caméra, vous saisit et vous émeut par ce qu’il révèle de profondeur et de blessure avouée. Niamh O’Sullivan est un Chevalier ébouriffant. Outre une voix de mezzo-soprano dont elle semble faire ce qu’elle veut, jusqu’à des aigus qui vous laissent sur le flan, elle arpente la scène avec une ardeur juvénile, voire tempétueuse, et dans chaque scène où l’amour se révèle, elle est d’une sensualité troublante sans jamais se départir d’une innocence étonnante. Regula Mühlemann, Sophie, est parfaite vocalement, aigu pur et aérien mais il manque peut-être à son personnage d’oie blanche découvrant l’amour et son envers une certaine ingénuité virginale. Le Baron Ochs von Lerchenau, véritable obsédé sexuel à qui le consentement semble inconnu, jouet de la Maréchale et du Chevalier, est campé par la basse Peter Rose, coutumier du rôle. Très à l’aise dans cette partition, tant vocalement que dans le jeu, il fait de ce personnage à priori antipathique et dindon d’une farce qui révèle chez lui une ambiguïté innatendue et dont il s’effraie, un vrai rôle de comédie qui ne désamorce jamais cependant la veulerie du personnage. Les seconds rôles sont eux irrésistibles et vocalement de très haute tenue. Eléonore Pancrazi, (Annina), flanquée de Krešimir Spicer, (Valzacchi), forment un duo fort sympathique de maître-chanteur usant des réseaux sociaux pour parvenir à leur fin. Jean-Sébastien Brou, monsieur de Faninal, père de Sophie, est parfait. Mention spéciale au Chanteur italien qu’avec une conviction certaine et un certain sens de l’auto-dérision, en slip et chaussette rouge, interprète Francesco Demuro. Mais n’oublions pas Strauss. Dans la fosse Henrik Nánási déroule cette formidable et riche partition qui de la valse viennoise fait un sort retors, capable d’émouvoir même le baron Ochs von Lerchenau. C’est à bras le corps qu’il empoigne cette partition, sollicitant fortement l’Orchestre national de France pour extraire de cette partition toute sa formidable richesse expressive. Cependant qu’on ne s’y trompe pas, Le Chevalier à la rose, malgré les apparences, n’a rien d’une aimable romance viennoise sucrée à trois temps tel qu’on pourrait l’accroire. Les épines ici comptent autant que la rose.

 

© Vincent Pontet

 

 

Le Chevalier à la rose, de Richard Strauss

Livret de Hugo von Hofmannstahl

Direction de Henrik Nánási

Mise en scène de Krzysztof Warlikowski

Chorégraphie : Claude Bardouil

Scénographie et costumes : Malgorzata Szczesniak

Lumières : Felice Rose

Vidéo : Kamil Polak

Dramaturgie : Miron Hakenbeck

 

Avec : Véronique Gens, Peter Rose, Niamh O’Sullivan, Regula Mühlemann, Jean-Sébastien Bou, Eléonore Pancrazi, Krešimir Spicer, Francesco Demuro, Laurène Paternò, Florent Karrer, François Piolino, Yoann Le Lan

 

Orchestre national de France

Chœur Unikanti, Maîtrise des Hauts-de-Seine

Opéra en allemand surtitré en français et en anglais

 

Jusqu’au 5 juin 2025, à 19h

Durée approximative 3h, avec deux entractes

 

Théâtre des Champs-Elysées

15 avenue Montaigne

75008 Paris

Réservations : www.theatredeschampselysées.fr

 

 

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