Critiques // « Le Capital et son Singe » d’après Karl Marx, mise en scène Sylvain Creuzevault à la Colline

« Le Capital et son Singe » d’après Karl Marx, mise en scène Sylvain Creuzevault à la Colline

Sep 11, 2014 | Commentaires fermés sur « Le Capital et son Singe » d’après Karl Marx, mise en scène Sylvain Creuzevault à la Colline

ƒ de Suzanne TEIBI

photo_lecapitaletsonsinge_05_dr_carrousel © DR

Dans le cadre du festival d’Automne à Paris, Sylvain Creuzevault présente à la Colline Le Capital et son Singe, d’après Le Capital de Karl Marx, un spectacle qui a déjà tourné, et qui va continuer de tourner beaucoup cette saison.

Creuzevault reprend un dispositif bifrontal qu’on lui connaît déjà, et sur le plateau, une grande table et des chaises autour desquelles pas moins de 13 comédiens s’affairent.

Cette scénographie est aussi percutante que pour Notre terreur, et permet au spectateur, par un jeu de miroir, en voyant les autres spectateurs, de se regarder aussi – ceci étant accentué par le fait que le plus gros de la représentation est joué dans la lumière.

On est en Mai 1848, avant l’arrestation d’Auguste Blanqui, et pendant plus de deux heures trente, Raspail, Barbès, Blanqui et leurs camarades du Club des Amis du Peuple vont jouer avec l’Histoire de France et tenter de reposer la question du politique et du capitalisme.

Il n’y aura pas d’incarnation, le ton est donné dès la première minute, avec une courte scène monologuée entre Freud, Foucault et Brecht, autour de la distanciation – aussi approximative soit la traduction du mot allemand « Verfremdungseffekt »de Brecht.

Le Capital et son Singe est porté par de comédiens très justes, créatifs et drôles aussi, qui mettent en débat une pensée passionnante, et brassent des questions cruciales : reposer la question du politique au théâtre n’est pas anecdotique de nos jours.

Mais quiconque n’a pas lu Le Capital de Marx peut avoir du mal à le recevoir ici. Et quiconque connaît mal Mai 1848 peut encore une fois avoir du mal à voir de quoi il retourne exactement, et à saisir les vrais enjeux de fond. Car voir Auguste Blanqui, Louis Blanc, Barbès, Raspail et les compagnons du Club mettre en débat des points tels que la valeur d’échange, la valeur d’usage, la parcellisation des tâches ou l’industrialisation en Mai 1848 – au moment où l’Histoire voit se préparer un nouvel épisode de l’insurrection révolutionnaire – est une chose ardue. D’autant que Creuzevault met en parallèle d’autres épisodes politiques majeurs tout aussi complexes. Le Capital de Marx, mais aussi les enjeux d’un tel projet théâtral peuvent nous parvenir difficilement, ainsi que les convergences et divergences entre la pensée de Marx et la pensée de Blanqui.

Pourquoi porter au théâtre un projet inspiré du Capital maintenant ? Gageons qu’un des enjeux serait de le donner à entendre profondément, à la lumière de ses résonnances avec notre époque, et de poser la possibilité d’un sursaut révolutionnaire aujourd’hui. Défi monumental et passionnant.

Mais, dans ce contexte, et même si l’l’Histoire n’a pas toujours donné une place importante aux femmes, monter ce projet aujourd’hui pourrait être une manière de réhabiliter la place des femmes dans l’Histoire, ou au moins de proposer autre chose. Une fois encore, jouer avec l’Histoire. Or les femmes n’ont pas, ou très peu de place dans ce spectacle.

Par ailleurs, le jeu de miroir évoqué plus haut renvoie aussi inexorablement ici – et ce n’est pas de la faute de Sylvain Creuzevault, mais c’est un fait – à la question de l’entre-soi. Le public de la Colline est tellement homogène et tellement blanc (on se pose aussi la question de la petite bourgeoisie) qu’il devient difficile de voir les spectateurs, et de se voir soi, sans être interpellé une fois encore par l’entre-soi au théâtre.

Le Capital et son Singe
A partir du texte Le Capital de Karl Marx
Mise en scène Sylvain Creuzevault
Lumière Vyara Stefanova et Nathalie Perrier
Scénographie Julia Kravtsova
Costumes Pauline Kieffer et Camille Pénager
Masques Loïc Nébréda
Avec Vincent Arot, Benoit Carré, Antoine Cegarra, Pierre Devérines, Lionel Dray, Arthur Igual, Clémence Jeanguillaume, Léo-Antonin Lutinier, Frédéric Noaille, Amandine Pudlo, Sylvain Sounier, Julien Villa, Noémie Zurletti

Du 5 septembre au 12 octobre 2014
Du mercredi au samedi à 20h, mardi à 19h30 et le dimanche à 15h

La Colline – Théâtre national
15, rue Malte-Brun – 75020 Paris
Métro Gambetta
Réservation : 01 44 62 52 52
Puis en tournée :
Les 5 et 6 novembre 2014 à La Scène Watteau, Nogent-sur-Marne
du 26 au 29 novembre 2014 à la MC2, Grenoble
les 4 et 5 décembre 2014 à L’Archipel, Perpignan
du 5 au 7 février 2015 à La Filature, Mulhouse
du 13 au 14 février 2015 au Cratère, Alès
du 11 au 14 mars 2015 à Bonlieu, Annecy
du 13 au 16 mai 2015 au Théâtre national de Bruxelles

 

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