© Agathe Poupeney
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Un Barbier de Séville sémillant à l’Opéra Bastille. Une réussite incontestable, menée de main de maître de la fosse au plateau, au diapason d’une partition Rossinienne aussi malicieuse qu’énergique. Nous voilà dans un quartier populaire de Séville, qui pourrait être aussi bien napolitain que romain – villes qu’affectionnait notre compositeur – où Rosine se refuse à Bartholo, accessoirement son tuteur, tombe amoureuse d’un bel inconnu, le comte Almaviva, lequel par l’entremise du barbier Figaro séduit la belle au nez et à la barbe du barbon. Le metteur en scène Damiano Michieletto a l’heureuse et rigoureuse idée de respecter l’œuvre, en extraire toute les subtilités, entre gravité et espièglerie, sans jamais déborder du cadre aussi bien du livret que de la partition, respectés à la lettre. Simplement ce qu’il donne à voir c’est toute l’énergie, la dynamique et la folie qui traverse ce Barbier. Par la grâce d’une scénographie intelligente signée Paolo Fantin, véritable machine à jouer offrant mille opportunités au metteur en scène, qui ne s’en prive pas et pour notre plus grand bonheur, avec une exigence de vérité dramaturgique jamais prise en défaut. C’est une haute façade d’immeuble contemporaine et décrépie qui bientôt s’ouvrira à nous, offrant une vue en coupe de l’appartement qui enclos Rosine. Entre salon, cuisine, bureau et chambre, c’est un branle-bas de combat amoureux fort drôle où chacun joue aux quatre coins, galopent, caracolent d’un escalier l’autre, d’une pièce l’autre, à vous donner le tournis, sous l’œil curieux voire goguenard ou complice des voisins toujours aux aguets. Avec au centre et maître du jeu, Figaro. Car c’est aussi la force de cette mise en scène que d’accorder autant d’importance à la figuration, au chœur, qu’aux protagonistes principaux. L’attention portée au second rôle comme Berta est en cela exemplaire. C’est une véritable composition qui est exigée à Margarita Polonskaya qui ne la cantonne pas uniquement à sa partition, un air unique, dont elle tire le meilleur de sa voix expressive et riche de nuance, mais s’inscrit dans un scénario plus général où même au second plan elle occupe aussi le terrain en toute logique avec un sens du comique indéniable. Damiano Michieletto n’hésitant pas ainsi à démultiplier sur le plateau les actions, insufflant un véritable souffle de vie trépidante, jamais artificiel mais toujours opportun. Cette mise en scène louche bien évidemment sur le néoréalisme italien, le tragique en moins, à Vittorio de Sica ou De Santis, voire Fellini (première période) dans cette description minutieuse d’un quartier populaire et de ses habitants, de son folklore mais sans tomber dans le cliché grossier. Et visiblement tous sur ce plateau jubilent, s’amusent sans barguigner, d’offrir au public une représentation sans esbrouffe, drôle, inventive et attentive aux moindres détails, qui met en relief la partition rossinienne, opéra bouffe dont elle semble être l’émanation sans défaut et sans caricature. Tout resonne avec grande justesse.
Il faut bien évidemment des chanteurs à la hauteur des exigences, une incarnation qui ne se résume pas ici qu’au chant mais aussi dans l’appréhension du rôle défini par la mise en scène précise de Damiano Michieletto qui détoure chaque rôle avec attention. Isabel Leonard campe une Rosine malicieuse, mutine et ne s’en laissant pas compter. Femme puissante en devenir, déterminée, post-ado gothique pour l’occasion, bien décidée à en découdre et de s’affranchir de cette tutelle oppressante. Mezzo-soprano de haut-vol, autant qu’actrice accomplie, elle embrasse sa partition avec une générosité vocale indéniable, une grande expressivité dramatique et un sens de l’humour avéré qui évite le ridicule par sa sincérité. Un chant ample, une voix chaude et chaleureuse, se jouant des subtilités et difficultés de la partition, elle emporte sans difficulté le public, visiblement conquis par cette performance généreuse qui la voit chanter le plus naturellement « Una voce pocco fa » tout en préparant le café – à l’italienne – de Bartholo, bien salé pour l’occasion, pressant de même des oranges au rythme rageur de ses vocalises redoutables impeccablement exécutées. Ou encore disparaître sous la couette avec le comte soupirant pour un audacieux tête à tête. Levy Sekgapane, Almaviva, quoique convaincant (particulièrement dans sa romance chantée avec grande finesse), semble un peu moins à l’aise dans toute cette effervescence, ce tourbillon tempétueux dont il semble parfois exclu. La voix aux aigus assurés et d’une grande agilité manque cependant de projection, et se retrouve parfois étouffée par ses partenaires. Carlo Lepore, coutumier de cette partition et de cette mise en scène dont il est depuis sa création en 2014 et lors de ses reprises, est tout simplement étourdissant, époustouflant, dans un rôle qu’il maîtrise vocalement et théâtralement. Un Bartholo composé avec génie à qui il donne une réelle complexité loin de toute caricature bouffa ordinaire. Figaro enfin, Mattia Oliveri qui domine lui aussi son rôle de ludion avec une aisance confondante. Voix de baryton explosive, d’une très grande expressivité également, il emporte avec lui le plateau et la salle de sa présence indéniable, de son jeu tout feu tout flamme, impeccablement juste et, avouons-le, d’un charisme naturel indéniable. Le reste de la distribution, chœur inclus, ne démérite pas, loin de là. La force de cette production tient sans nul doute à ça, outre les qualités exeptionnelles de la mise en scène, cette homogénéité de la distribution qui lui apporte son mordant, cette humeur joyeuse et sa fluidité. Et dans la fosse, le chef Diego Matheuz impulse à l’ensemble un véritable maelström, une dynamique heureuse, frondeuse, en harmonie, en synchronisation absolue avec la mise en scène. La réussite tient aussi à ça, cette parfaite osmose entre le plateau et la fosse, entre le metteur en scène et le chef, où l’on ne sait plus très bien qui des deux entraîne l’autre, impulsant ce rythme alerte, cette théâtralité et musicalité exacerbées, où Rossini est à la fête. Tout comme le public. Figaro si, Figaro la, figaro oui !
© Agathe Poupeney
Le Barbier de Séville, opéra de Giacchino Rossini
Livret de Cesare Sterbini, d’après Beaumarchais
Direction musicale de Diego Matheuz
Mise en scène de Damiano Michieletto
Responsable de la reprise : Andreas Zimmermann
Décors : Paolo Fantin
Costumes : Silvia Aymonimo
Lumières : Fabio Barettin
Chef des chœurs : Alessandro Di Stefano
Orchestre et chœur de l’Opéra de Paris
Avec : Levy Sekgapane, Carlo Lepore, Isabel Leonard, Matthia Olivieri, Luca Pisaroni, Andres Cascante, Margarita Polonskaya*, Jianhong Zhao°
*Membre de la Troupe Lyrique de l’Opéra national de Paris
° Membre des Chœurs de l’Opéra national de Paris
Jusqu’au 13 Juillet 2025
Opéra Bastille
Place de la Bastille
75012 Paris
Réservations : www.operadeparis.fr
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