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L’augmentation, de Georges Perec, mise en scène d’Anne-Laure Liégeois, au Théâtre 14

Jan 08, 2023 | Commentaires fermés sur L’augmentation, de Georges Perec, mise en scène d’Anne-Laure Liégeois, au Théâtre 14

 

© Christophe Raynaud De Lage

 

fff article de Denis Sanglard

 

Mettre en scène aujourd’hui L’augmentation de Georges Perec, outre le fait de (re)découvrir un texte à nul autre pareil, relève d’un geste proprement révolutionnaire et politique, affirmons ça, à l’heure du libéralisme et de la crise économique qui voit une paupérisation accrue s’installer durablement, quoiqu’on en dise. Et le rire explosif et irrépressible, grinçant, qui rythme cette représentation a quelque chose de jubilatoire mais aussi d’exutoire. Anne-Laure Légeois remonte ce texte crée il y a près de 10 ans, avec les mêmes histrions, et c’est peu dire qu’avec ces trois-là, nous sommes à la fête. Georges Perec, en bon Oulipien, construit un texte diabolique, comme toujours d’une rigueur mathématique imparable, implacable. Principe simple mais qui au fil de la démonstration se complexifie. Soit l’incrementum, une figure de rhétorique consistant à empiler des séries d’arguments pour emporter la conviction. Une proposition, son alternative, une hypothèse positive, une hypothèse négative, le choix entre l’une et l’autre, la conclusion selon le choix. Et on recommence ad libitum. Une arborescence, une amplification d’une logique qui vous donne un sacré vertige, vertige dans lequel nos personnages finissent par sombrer jusque la folie. L’augmentation c’est aussi l’espoir d’un employé de bureau toquant à la porte de son chef de service. Ou bien ce dernier est dans son bureau… Ou bien il n’y est pas… De l’une ou de l’autre situation, le destin de cet homme et de cette femme, puisqu’ils sont deux ici, devient un chemin tortueux, labyrinthique, reflet au final de leur condition d’éternels vaincus, victimes d’un consortium qui les ignore et les exploite. Ces deux-là, l’homme et la femme, solidaires et rivaux tout à la fois, dans la réitération de leur demande inaboutie, sont les Sisyphe des temps modernes. Dit comme ça, c’est oublier le ton ravageur et sardonique de ce texte appuyé de sa rhétorique et combien le rire est une arme de déconstruction et de destruction redoutable. Anne-Laure Liégeois signe une mise en scène de haute volée où le burlesque volontaire poussé à son paroxysme avec une précision horlogère n’oblitère jamais, bien au contraire, le politique.

Anne Girouard et Olivier Dutilloy, dirigés au plus près par Anne-Laure Liégeois, sont tout simplement phénoménaux. Employés au bord de la crise de nerf, le verbe et le corps tout entier engagés dans cette bataille homérique pour une augmentation qui ne viendra jamais, qui les voit errer pour jamais dans les couloirs de ce consortium qui les broie, rivés immuablement sur leur bureau, dans cet espace impersonnel, ils vont obstinément jusqu’au bout d’une folie qui les ravage bientôt, enfermés dans un système proprement kafkaïen. Jouant avec adresse de ce texte impossible, de ces chausse-trappes, de ces répétitions jamais vraiment identiques et de plus en plus décalées, lui imposant un rythme qui va toujours crescendo, ils osent avec raison et talent la franche démesure en tout point en restant par miracle d’une justesse épatante, sans être jamais ridicules. Mieux encore, d’une humanité bien désarmante derrière la bouffonnerie. Qu’ils soient ces employés obtus et misérables, aux menues victoires fragiles et éphémères, ou qu’ils endossent tout à tour le rôle du chef de service sourd à toutes revendications, parfois mais rarement compatissant, parfaitement odieux jusque dans sa feinte générosité, ils sont d’une virtuosité vertigineuse dans leurs compositions hallucinantes et totalement déjantées, parfaitement assumées et maîtrisées cependant. Il n’y rien de trop, rien de gratuit et Anne-Laure Liégeois ne lâche pas le fil du texte et de sa mise en scène noués serrés, qu’elle tient fermement tendu, avec intelligence, jusqu’au bout. On rit sans vergogne au long de cette représentation jouissive et désopilante, aussi abrasive qu’explosive, et ce depuis les premières minutes où pourtant il ne se passe rien, strictement rien, sinon une intense concentration de ces deux-là, emperruqués et vêtue de gris, en vrais modèles d’employés lambda, les mains bien à plat sur leur bureau, prêt à s’engouffrer dans une demande qui les mènera défaits au bout du bout d’eux même, autrement dit nulle part, où tout sera encore à recommencer.

 

© Christophe Raynaud De Lage

 

L’augmentation de Georges Perec

Mise en scène et scénographie d’Anne Laure Liégeois

Avec Anne Girouard et Olivier Dutilloy

Collaboration à la scénographie : Anne-Laure Jullian de la Fuente et François Corbal

Création lumière : Guillaume Tesson

Costumes : Séverine Thiébault

Vidéo des intermèdes : Grégory Hiétin

Conseils son-vidéo : Guillaume Monard

Assistanat à la mise en scène : Camille Kolski

 

Du 3 au 21 janvier 2023

Mardi, mercredi, vendredi à 20h

Jeudi à 19h, samedi à 16h

 

Théâtre 14

20 avenue Marc Sangnier

75014 Paris

 

Réservations :

01 45 45 49 77

théâtre14.fr

 

Le 26/01 et le 27/01 à 21h à la M3Q ( Maison des trois quartiers)-Poitiers- dans le cadre des Rencontres d’hiver-LE META

 

 

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