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« Las ideas » de Federico Leon au théâtre de la Bastille

Oct 09, 2015 | Commentaires fermés sur « Las ideas » de Federico Leon au théâtre de la Bastille

ƒƒ article de Anna Grahm

 

Photo: Ignacio Lasparra

Photo: Ignacio Lasparra

 

Comment se construit une fiction ? Federico Léon, artiste argentin, invite le spectateur à observer le processus de création. Mais son atelier ressemble plus à une salle de jeu qu’à un espace de travail. Sur la table de ping-pong, un joyeux désordre, un synthé, un ordi, une caméra, des raquettes, crayons, papiers, bref tout un tas d’objets bien réels plus proches de l’industrie loisir que de l’entreprise imaginaire. Federico Leon, le metteur en scène, et son acteur fétiche Julian Tello arrivent sur le plateau en short à fleur, tee-shirt et baskets comme s’ils revenaient de la plage. Pourtant si leur allure décontractée de jeunes fumistes n’apparaît pas tout de suite comme une disposition au travail rigoureux, tout ce qu’il y a devant eux va peu à peu devenir matière à réflexion, va se révéler riche d’enseignements, et constituer un bout de l’œuvre en devenir.
Mais avant, ils regardent des vidéos sur internet, s’intéressent au travail d’autres artistes, mais d’abord ils explorent des regards différents du leur, qui pourraient les inspirer. Et ce faisant se filment en train de regarder. Ils flânent, fument, discutent à bâtons rompus, jouent au ping-pong. Il y a entre eux quelque chose de l’improvisation, de l’indéterminé et s’ils sont à l’ouvrage ils paraissent bien désœuvrés.

Le spectateur qui a plus l’habitude de courir que de vagabonder, sera sans doute désarçonné par ce qu’il prendra pour un mal d’inspiration, car ce qui se déroule là, ce qui découle de cette réunion, ressemble à du bricolage.

Pourtant ce qui semble informel prend forme, pourtant sans application, ni zèle particulier, l’exploration des artistes avance à pas feutrés. Et de la même façon que le spectateur avait vu ce chien déguisé en mouton, il voit le déroulement de la démarche créative en train d’évoluer. Il entre dans la tête chercheuse de l’artiste, assiste à la naissance et la transformation des idées. Et les idées ne manquent pas, découlent les unes des autres, tout est analogie, tout est fécond.

De leur côté les acteurs se voient en train de regarder ce qu’ils ont filmé, se mettent à voir autrement, leurs esprits sont comme ces fumées, en perpétuel mouvement. Et ils s’enivrent de whisky, de ces vapeurs d’alcool qui n’en sont peut-être pas, qui ramenées au principe de réalité sont reformulées en thé. Ils profitent des arrêts sur image pour redessiner les contours de la leur, pour marquer la distance, pour voir ce que ça donne. Pour permettre cette vision des choses qu’on n’a pas encore eue. Pour redécouvrir. Pour multiplier les divisions qui s’opèrent, pour effacer l’inopérant. Ce joint qu’ils fument avec ostentation est-ce vraiment de l’herbe ou une illusion olfactive, en tout cas cette provocation cocasse pousse les portes de l’interdit, de la censure et de l’autocensure, sera la première jointure de ce cousu du vrai faux. Et cette table qui les avale, l’illustration de ce perpétuel va et vient, l’amorce de la disparition de ce formidable travail de recherche au profit des apparitions successives des strates de fiction.

Comment se construit un monde. Quelles influences et comment elles remontent en volutes de patchouli. Tout enregistrer, tout observer, tout disséquer, remarquer ce qu’on ne remarquait pas. Ne rien s’interdire, ne rien jeter mais pour mieux trier et choisir, éprouver, épuiser toutes les hypothèses de travail pour voir si elles résistent ou pas. Et ne jamais hésiter devant une fausse manœuvre et se servir des accidents, de tout ce qui provoque des réactions. Voir ce que ça donne. L’appel à la petite amie, le vrai/faux coup de téléphone. La dépendance aux produits, aux proches, l’indépendance qu’offre le lâcher prise, la relation à l’étrangeté. Comment se fissurent les fermetures mentales, comment s’initient les ouvertures qui vont drainer la foule d’idées qui vont s’accumuler. Car chaque idée est un monde en soi, chaque proposition élargit le champ des possibles, se déploie, s’étire à l’instar de ce ballon blanc qui se dilate dans des proportions impossibles au point d’exploser. S’engage alors une seconde fiction. Celle d’un ordinateur qui rêve. Brasse les idées, l’idée de l’idée, élabore à partir de leurs tâtonnements, une histoire, qui l’air de rien avait commencé depuis le début du spectacle. C’est beau, captivant, intelligent. C’est réjouissant et optimiste. C’est une leçon de vie. Le spectateur possède désormais les règles du jeu de l’imagination, et peut s’il le veut convoquer sa propre existence, la réinventer avec d’autres, pour créer à son tour bien d’autres réalités.

 

Las ideas
Dramaturgie et mise en scène de Frederico Leon
Assistant mise en scène Rodrigo Pérez
Scénographie et accessoires Ariel Vaccaro
Lumière Alejandro Le Roux
Avec Federico Leon, Julian Tello

Du 7 au 16 octobre 2015 à 19h30 (Relâche le dimanche)

Théâtre de la Bastille
76, rue de la Roquette – 75011 Paris
Réservations 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com

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