À l'affiche, Critiques // L’Art du théâtre, suivi de De mes propres mains, texte et mise en scène de Pascal Rambert au Théâtre du Rond-Point

L’Art du théâtre, suivi de De mes propres mains, texte et mise en scène de Pascal Rambert au Théâtre du Rond-Point

Fév 18, 2019 | Commentaires fermés sur L’Art du théâtre, suivi de De mes propres mains, texte et mise en scène de Pascal Rambert au Théâtre du Rond-Point

 

© Giovanni Cittadini Cesi

 

 

ƒ article de Nicolas Thevenot

Pascal Rambert joint pour Arthur Nauziciel deux textes, deux monologues, bien éloignés dans leur écriture et dans leur tempérament. De mes propres mains a été créé en 2015, L’Art du théâtre en 2017 mais Pascal Rambert a écrit le premier en 1993 et le suivant en 2015.

L’Art du théâtre met donc en scène un acteur expliquant l’art du théâtre et le monde du théâtre à son chien, un énorme Terre-neuve, pataud et placide. Tout en rondeur, en circulation et en station, sur un parcours aléatoire que l’on imagine soumis aux libertés que pourrait prendre Elboy (le Terre Neuve), l’acteur parle du métier, de ses affres, de ses travers, mais aussi de ce que serait le vrai théâtre, l’art du comédien, développant son traité de jeu à l’attention de jeunes acteurs. On ne peut qu’opiner avec Elboy sur tout ce qu’avance l’acteur. On en sourit, on s’en amuse, on s’en lèche les babines. Et puis à la longue on finit par se demander pourquoi l’acteur nie sciemment et systématiquement notre présence en ne s’adressant qu’à son chien (aucun regard ouvert sur le public). On finirait même par croire que l’on nous prend pour un chien (ce qui est pourtant formellement démenti par Pascal Rambert dans le dossier de presse) puisqu’Elboy médiatise notre écoute, puisqu’Elboy est celui qui ponctue d’un regard « bête » ce que l’acteur lui dit.

A la fin de cette première partie, Arthur Nauzyciel sort d’un frigo une nouvelle tenue. Pas de changement de décor mais un changement de tenue donc, qu’il faut prendre au sens littéral, puisque dans ce deuxième monologue, l’acteur s’immobilisera tel une statue de marbre.

Avant cela, un technicien armé d’une serpillère, un trousseau de clefs cliquetant à sa ceinture, essuiera le plateau de la bave d’Elboy. C’est peut-être le plus beau moment pourtant d’une simplicité absolue. On se souvient encore de cette chorale d’enfants qui faisait intermède dans Clôture de l’amour, comme le surgissement du réel entre les deux blocs de texte qui formait ce spectacle. Au moment où la serpillère passe, le temps se dilate, l’espace se réveille, animé par le délicat frottement de la serpillère au sol, hameçonné par le tintement des clefs. Une bienheureuse vibration du monde sensible.

Puis, depuis son immobilité minérale, tout en tension, prêt à mordre, De mes propres mains démarre comme un coup de feu. Logorrhée folle et déconcertante, l’acteur s’adresse à de multiples locuteurs, qui finissent par en être indifférenciés, dans un étourdissement vertigineux. Le flux des mots s’anime comme des vagues, roulantes, galopantes, échouant avec fracas sur le rivage de la scène. Jusqu’au hurlement, jusqu’à ce que s’ouvre la possibilité ultime du « coup de théâtre », ce revolver doré, à prendre en bouche, qui est l’unique issue possible de cet objet théâtral.

Cet ensemble se donne à voir et à entendre comme on ausculterait en observateur scientifique une situation et une parole sous cloche. Clôture de l’amour était aussi construit sur la même structure de deux longs monologues se succédant, mais on était absorbé de bout en bout par ce qui se disait. D’où vient cette différence dans la réception qui modifie profondément notre perception ? Peut-être d’un trop grand contrôle du comédien qui même dans l’emportement des paroles, dans la charge des affects qu’il construit et accumule, ne semble jamais se lâcher ni faire confiance à ce qui pourrait l’embarquer. Cette maîtrise aboutit à un spectacle d’une grande perfection plastique, d’une dureté lisse et brillante (si l’on voulait parler d’un matériau), mais ne donnant finalement que peu de prise au spectateur. On aimerait entendre dans ce travail une plus grande liberté instinctive, des accidents, des ruptures, des aspérités, en un mot une plus grande « bêtise » tel qu’elle est exposée dans le manifeste de L’Art du théâtre, au sens où finalement l’acteur n’est magistral que lorsqu’il accepte de se laisser faire, comme Elboy, sans plus d’intelligence que celle d’un chien : intelligence animale qui donne à entendre et à sentir ce que les mots seuls ne peuvent porter. Car, le spectateur de théâtre n’est lui-même jamais aussi « doué » que lorsque le théâtre réveille la bête qui est en lui.

 

© Giovanni Cittadini Cesi

 

 

L’Art du théâtre, suivi de De mes propres mains, de Pascal Rambert

Mise en scène Pascal Rambert

Traduction Stéphane Boitel

Avec Arthur Nauzyciel et le chien Elboy

 

Du 6 février 2019 au 3 mars à 20h30 (dimanche à 15h30)

Durée 1h15

 

 

Théâtre du Rond-Point
2bis avenue Franklin Roosevelt

75008 Paris

 

Réservation au 01 44 95 98 21

http://www.theatredurondpoint.fr

 

 

Tournée

Du 6 au 8 mars 2019

Théâtre National de Bretagne, Brest
1 rue Saint-Hélier

35040 Rennes

Réservation au 02 99 31 12 31

https://www.t-n-b.fr

 

 

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