Un Fauteuil Pour l'Orchestre – Le site de critiques théâtrales parisien » L’Art du rire, de et par Jos Houben, à La Scala

À l'affiche, Critiques // L’Art du rire, de et par Jos Houben, à La Scala

L’Art du rire, de et par Jos Houben, à La Scala

Fév 07, 2020 | Commentaires fermés sur L’Art du rire, de et par Jos Houben, à La Scala

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Dès son entrée c’est gagné. Et sans rien avoir fait, pas même ouvert la bouche, le rire secoue la salle. Ce grand échalas dégingandé, aperçu chez Peter Brook (Fragments de Beckett), belge (ce qui sans doute explique beaucoup), est en premier lieu une sacrée présence ! Jos Houben, comédien et professeur chez Jacques Lecoq, ce qui n’est pas rien, disserte sur l’art du rire. Conférence drolatiques, magistrale leçon de théâtre déjantée pour un sujet casse-gueule. Et c’est bien l’art de la chute, une véritable science, et de ce qu’elle provoque qui est détaillée ici, preuve à l’appui. Le rire c’est avant tout une question de décalage et en premier lieu un défi à la verticalité. Plus facile en effet de faire rire en imitant un camembert normand bien fait comme il se doit qu’un morceau de Cheddar anglais compassé (je vous laisse sans doute dubitatif mais visualisez l’un et l’autre…). Il fallait y songer mais Jos Houben est passé maître dans l’imitation fromagère. La tour Eiffel est bien morne au regard de la tour de Pise. Être droit c’est rester digne et d’un mortel ennui. Et quand notre conférencier se penche légèrement, allez savoir pourquoi, le rire secoue la salle. Jos Houben est un fin observateur, un anthropologue de notre quotidien, qu’il dissèque avec acuité et bonheur, en lui extirpant sa substantifique moelle pour en révéler le potentiel comique. Rien n’échappe à son regard ironique et facétieux. Notre façon de regarder, de marcher, de chuter, de chercher son équilibre et de ne pas le trouver, bref de tenter en vain de garder son amour-propre… Le geste, le mouvement, le corps sont de véritables révélateurs de nos états d’âme. Ventre en avant ou en arrière, marche rapide ou badine, mains sous le bassin, sur le bassin ou sur la poitrine, voire portées au ciel, tête penchée ou levée vers les nuages, valent plus qu’un discours. Et d’ailleurs pas besoin de parler quand on imite une poule ou une vache, l’effet est le même et garanti et si le ridicule est partagé, le rire reste bien le propre de l’homme. Mais ce qui fait hurler de rire, ce n’est pas tant ça que ce qui, entre l’effet et la cause, s’interpose. Et l’accumulation de ces éléments parasites qui vous font perdre toute dignité, toute tenue. Démonstration donc à l’appui, Jos Houben donne de sa personne sans égard pour lui-même, avec beaucoup d’abnégation. Et dans une scène de restaurant, sans parole, c’est à une véritable catastrophe humaine auquel nous assistons, hilares… Provoquer ce rire sans cruauté est une science fort savante mais tout l’art de Jos Houben est de ne rien, jamais, en laisser paraître, même en démontant pour un public conquis les subtils mécanismes. Mais il demeure toujours une part de mystère, au-delà de toute explication logique, et qui tient sans équivoque avant tout à la personnalité et la présence de ce génial conférencier. Même à la verticale absolue, avant même qu’il ne se penche, allez savoir pourquoi nos zygomatiques ne résistent pas.