© Luca Cutolo
fff article de Denis Sanglard
Destruction d’un paysage. Làoùtesyeuxseposent est une performance hallucinée, théâtre d’objets sans acteurs, du moins visibles, poème visuel, installation d’art contemporain entre baroque et surréalisme. Successions de tableaux, entre nature morte et vanité, paysage étrangement changeant et fragile annonçant notre catastrophe écologique irrémédiable. Sur ce plateau, étroit rectangle blanc, le chaos progressivement s’installe. Surgissent du sol qu’ils crèvent littéralement racines d’arbres, oiseaux empaillés, rats mécaniques… vite engloutis par vagues successives d’étranges et cauchemardesques formes noires, on songe aux plaques de mazout. Une vierge miraculeuse pleure du sang après avoir explosée et perdue son enfant, tombé à ses pieds. Crânes, miroirs, fruits en décomposition, fleurs pourrissantes composent le corpus classique de natures mortes mais détournés ici de façon ludique et tragique. Le terme anglais serait ici plus judicieux, précis, « still life », car quelque chose ici est bien en attente, la catastrophe à venir, et cette nature n’est pas plus morte que ça qui semble ne pas renoncer avant de sombrer à son tour. Cependant que d’étranges tuyaux flexibles autonomes accélèrent ce massacre. Car ici, pas l’ombre d’une présence humaine, seules deux poupées gonflables coiffées d’une tête de mort, enlacées dans une grotesque et dérisoire étreinte, rassemble allégoriquement et terriblement toute notre humanité avant elles aussi de disparaître. Un torse de femme sera bien extirpé des dessous de la scène mais manipulé comme un cadavre, observé entomologiquement comme une espèce sans doute disparue. Et quand tout semble enfin achevé, un carton Amazon se livre de lui-même. Son contenu ? Des marionnettes à gaine, visages de cire gris, qui vont continuer ce jeu de massacre, jusqu’à s’autodétruire. Aucune parole ne sera prononcée durant cette demi-heure sauf, à la fin, répétée en boucle par un disque rayé : « Pourquoi mon corps devrait-il s’arrêter à la frontière de ma peau ? », phrase énigmatique qui sonne ici comme une épitaphe que nul ne peut désormais entendre. Il y a bien quand même une présence humaine, Thomas Quinart, bien vivant, saxophoniste et compositeur, usant aussi de drôles instruments bricolés, lequel crée en direct une bande sonore ad-hoc en contrepoint des images. C’est une demi-heure d’une beauté crépusculaire, apocalyptique qui vous touche fortement au plexus. Une vanité contemporaine, avec trois fois rien où à peine plus, allégorie d’un monde à l’écosystème dévasté. Devant cet imaginaire poétique et cette conscience lucide au monde, ce bricolage souterrain merveilleusement inventif, on se dit que Johanny Bert est le digne héritier d’André Breton, Salvador Dali, Jean Cocteau, et particulièrement James Ensor. Et pour ce qui est du bricolage justement, de la manipulation, Johanny Bert a eu l’heureuse idée d’enregistrer les coulisses de cette performance. Au lendemain de chaque représentation les spectateurs peuvent ainsi découvrir cette création « d’en dessous », comme un autre point de vue. Une façon aussi d’offrir un peu d’humanité à défaut d’espoir. C’est ici : parislete.fr/_les-dessous-du-spectacle
Làoùtesyeuxseposent : conception et mise en scène de Johanny Bert
Interprètes : Faustine Lancel, Thomas Quinart, Johanny Bert
Scénographie : Amandine Livet
Dramaturgie : Olivia Burton
Équipe de construction en complément des interprètes : Guenièvre Lafarge, Pétronille Salomé, Gilles Richard, Christophe Kiss, Anthony Diaz, Fabrice Coudert, Baptiste Klein
Voix off : Juliette Alain
Du 28 au 30 juillet
A 18h30 et 20h30
Lycée Jacques Decour
12 avenue Trudaine
75009 Paris
Réservations :
01 44 94 98 00
parislete.notrebilleterie.fr
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