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L’amour de l’Art, conception de Stéphanie Aflalo, au Théâtre de la Bastille

Jan 12, 2024 | Commentaires fermés sur L’amour de l’Art, conception de Stéphanie Aflalo, au Théâtre de la Bastille

© Roman Kane

ff article de Denis Sanglard

 Ils sont sérieux comme des papes, quoiqu’un peu anxieux du fait de leur fragilité, de leurs multiples rétroversions et handicaps dont ils font en préambule de leur conférence la liste exhaustive. Nous voilà donc prévenu, le corps peut lâcher à tout moment, la conférence s’interrompre brutalement. Mais il va tenir et ce à quoi nous allons avoir à faire en la matière s’apparente davantage à une rétroversion du respect de la culture…  Plus sérieusement, cette conférence loufoque sur l’amour de l’Art et son discours est un exercice de style complétement azimuté dont le sérieux et l’application force le respect et qui par son décalage permanent provoque un rire inextinguible sinon un effarement joyeux. Nos deux conférenciers, pince-sans-rire, racontent n’importe quoi avec un réel aplomb et du haut de leur autorité souveraine, croient-ils, ne souffrent pas la contestation. L’analyse des tableaux s’apparente davantage ici à une psychanalyse sauvage et lacanienne que sans doute le choix certes pas anodin du sujet, natures mortes et vanités, exception faite de Judith et Holopherne du Caravage, semble de fait induire et provoquer. Entre anachronismes énormes, et raccourcis saisissant, approximation hasardeuse et franche ignorance, c’est plus leur projection mentale quelque peu inquiétante et borderline qui est exposée en ces toiles, un véritable transfert psychanalytique donc, toiles qui n’en demandaient pas tant, ni leurs auteurs. C’est résolument décalé et totalement absurde. Avec ça une propension sévère à faire entrer de force nos préoccupations contemporaines, patriarcat et tout le toutim, dans le moindre sujet et détail de ces toiles que seule la méditation sur notre finitude terrestre occupait en leur siècle où ces questions sociétales ne se posaient pas ou pas encore. Tout à leur conviction affirmée et péremptoirement, la question du contexte semble ne pas être la priorité de nos deux zouaves. Et comme si cela ne suffisait pas, l’unique incursion dans l’art contemporain, un reenactment d’une performance de Marina Abramovic, Oignon (1995), couronne magistralement l’ensemble et pose (enfin) la question centrale de cette création. Entre le discours de l’artiste et le décalage qu’entraîne sa reproduction et son analyse ad libitum, n’y a-t-il pas trahison jusque dans son discours par force vidé de son sens premier ? Autrement dit l’expression même (de l’art) du plagiat dont cette performance serait le symptôme. Et qui autoriserait, nonobstant la bêtise, le docte n’importe quoi plutôt que le silence et la contemplation pure…

Et de façon retorse, poussant la logique jusqu’au bout, dans une juste mise en abîme, eux-mêmes se mettant au final en représentation, qu’ils dénoncent de facto, et donc soumis aux regards et à la critique, sujets à leur tour à l’interprétation que nous pouvons en faire, ne nous exemptant de rien, nous renvoyant à notre propre jugement, nos préjugés et discours. Car que voyons-nous au fond qui ne soit pas un peu de nous-même ? C’est carrément tordu, mais las, empreint de lucidité.

Stéphanie Aflalo et Antoine Thiollier sont bien malins qui loin de ridiculiser nos deux conférenciers leur offrent une vulnérabilité qu’une autocritique salutaire sauve du désastre absolu. « Si le spectacle avait été bien fait… » accuse cette honnête et fébrile inquiétude devant le désastre de leur piteux et drolatiques discours subtilement parodiques et d’une intelligence certaine. Critique d’un discours formaté sur l’art, ses conventions souvent obtuses entre pédantisme et infantilisme masquant difficilement le vide ou le trop plein d’une pensée égarée par tant de beauté, pas loin du syndrome de Stendhal sans doute, qu’il faille absolument lui donner un sens pour ne pas céder au vertige et au néant. Où la recherche du signifiant de la chose, finit par perdre de vue et l’objet lui-même barbouillé par les discours qui s’y afférent et celui qui le regarde. Et c’est bien ça que nos deux énergumènes dénoncent, ce ridicule-là faisant autorité malgré sa vacuité phénomènale qui exclut et rendrait illégitime celui qui n’aurait ni le discours ni surtout sa maîtrise. Stéphanie Aflalo et Antoine Thiollier affirment au final et avec énormément d’humour que l’amour de l’Art se passe après tout très bien de commentaires, le regard posé sur l’œuvre de tout discours. Comme cette chronique pourrait aussi se dispenser de gloser sur cette création qui se suffit à elle-même, pour n’enjoindre qu’une chose : aller donc voir fissa ces deux-là, héritiers lointains de Bouvard et Pécuchet, qui n’expriment rien d’autre que notre vanité orgueilleuse et pédante à masquer notre ignorance.

 

© Roman Kane

 

L’amour de l’Art, conception de Stéphanie Aflalo

Ecriture et jeu : Stéphanie Aflalo et Antoine Thiollier

Création vidéo : Pablo Albandea

Régie génerale : Romain Crivellari

 

Du 10 au 20 janvier 2024 à 19h

Les samedis à 18h. Relâche le dimanche 14 janvier

Durée du spectacle : 1h15

 

Théâtre de la Bastille

76 rue de la Roquette

75011 Paris

 

Réservations : 01 43 57 42 14

www.theatre-bastille.fr

 

 

Tournée :

24, 26 et 27 janvier Festival Singulier.es

10 février Le Louvre Lens

21 Mars Nantes Théâtre universitaire

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