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Lacrima, de Caroline Guiela Nguyen, au gymnase du Lycée Aubanel à Avignon, festival IN  

Juil 05, 2024 | Commentaires fermés sur Lacrima, de Caroline Guiela Nguyen, au gymnase du Lycée Aubanel à Avignon, festival IN  

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

Les dessous des dessus chics, histoire secrète de la robe, une princesse anglaise commanda un jour une robe pour son mariage, les meilleurs artisans du royaume furent mis à contribution…la guimauve s’arrête là où commence le récit de Caroline Guiela Nguyen qui montre l’envers du décor d’un atelier de haute couture confronté à une commande exceptionnelle, donner corps en 8 mois à la robe du siècle. Les secrets de fabrication sont les histoires de ces femmes et de ces hommes chargés de la créer, à Paris, Alençon et Mumbai, le designer, la cheffe d’ateliers, les petites mains, les dentellières et les brodeurs qui vont permettre à cette pièce légendaire d’exister dans les temps.

Très peu de metteurs en scène s’intéressent à la réalité du travail, aux gestes du métier, aux règles de l’art construites au sein de collectifs qui, lorsqu’elles sont perpétuées, permettent de s’inscrire dans une histoire (c’est typiquement le cas des brodeuses dont le métier ne s’apprend pas mais se transmet de mère en fille). Encore moins nombreux sont les dramaturges qui montrent l’usure professionnelle, un processus d’altération de la santé qui s’inscrit dans la durée et qui résulte d’une exposition prolongée à des contraintes de travail, objectifs irréalistes, injonctions contradictoires, pression temporelle. Elle ne concerne pas que les salariés en fin de carrière, peut intervenir à n’importe quel moment et conduire au suicide. C’est le cas du personnage principal, la chef d’atelier Marion, qui finit par se suicider, la robe a avalé sa vie, tandis qu’à l’autre bout du monde le brodeur indien Abdul Grani deviendra aveugle. Dans les deux cas, une pression insupportable a ravagé les corps de personnes qui adoraient leur métier, étaient fiers de contribuer à un ouvrage magnifique et auraient tout donner. Caroline Guela Nguyen a minutieusement enquêté et montre ce qu’on ne voit jamais, l’organisation d’une chaine de travail à distance, les règles de confidentialité, les relations entre donneurs d’ordre et maitres d’ouvrages, l’inhumanité d’un système qui broie les travailleurs dans un atelier huppé du seizième arrondissement de Paris comme ou au fin fond de l’Inde.

Sur un vaste plateau à mi-chemin entre l’open space (espace de travail partagé entre différents postes sans cloison) et l’atelier de couture traditionnel, vestes et chemises sont accrochées sur des cintres. Dans un coin, la table de presse aux lourds fers à vapeurs. A l’avant-scène, la table principale où travaillent les ouvrières, assises sur des tabourets. Une quantité de tissus, de fils et d’aiguilles circule ainsi entre leurs mains agiles.

Le mouvement ne s’arrêtera jamais, les comédiens sont comme rivés à la tâche, interprétation des croquis, essayage et calage de la toile au mannequin, prise de mesures, présentation de l’ébauche au créateur et adaptation de la toile… les exigences des commanditaires sont insensés. On ressent la force du collectif qui se comprend à demi-mots.

Caroline Guila Nguyen a le sens du rythme, des retournements de situations avec un fil narratif parfaitement clair, là ou d’autres se perdraient dans les allers retours entre histoires intimes et collective. L’usage de la vidéo révèlent les mains abimées, les traits tirés, les regards de ces gens de l’ombre taiseux, qui n’ont pas l’habitude d’être dans lumière. Les comédiens, professionnels ou non, sont tous extrêmement justes dans l’expression d’une parole non formatée de gens humbles, parfois âgés. Une mention spéciale à Maud le Grevellec dans le rôle-titre, si pudique dans sa souffrance.

Un très bel hommage à la mémoire ouvrière, à l’excellence de ces métiers du spectacle « invisibles », les modélistes, patronniers, costumiers et un grand moment de théâtre pour tous dans la tradition de Jean Claude Grinberg. Les spectateurs, émus, applaudissent debout et ne veulent plus partir.

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

Lacrima, une histoire contemporaine des larmes, de Caroline Guila Nguyen

(texte édité chez Actes  Sud)

Mise en scène :  Caroline Guiela Nguyen
Scénographie : Alice Duchange
Costumes et pièces couture :  Benjamin Moreau
Musique : Jean-Baptiste Cognet, Teddy Gauliat-Pitois, Antoine Richard
Son : Antoine Richard en collaboration avecThibaut Farineau
Lumière : Mathilde Chamoux, Jérémie Papin
Vidéo: Jérémie Scheidler
Coiffure postiches et maquillage :  Émilie Vuez
Musiques enregistrées : Quatuor Adastra – quatuor à cordes
Habillage : Bénédicte Foki

Avec : Dan Artus, Dinah Bellity, Natasha Cashman, Charles Vinoth Irudhayaraj, Anaele Jan Kerguistel, Maud Le Grevellec, Liliane Lipau, Nanii, Rajarajeswari Parisot, Vasanth Selvam
et en vidéo :  Nadia Bourgeois, Charles Schera, Fleur Sulmont
et les voix de : Louise Marcia Blévins, Béatrice Dedieu, David Geselson, Kathy Packianathan,Jessica Savage-Hanford

 

Jusqu’au 11 juillet à 17h

Durée : 2h55

 

Gymnase du lycée Aubanel

14 rue Palapharnerie

84 000 Avignon

 

Réservation : 0490141414

Festival-avignon.com

 

Tournée :

Du 24 septembre au 3 octobre, théâtre national de Strasbourg

20 et 21 novembre Centre Dramatique de Reims

Du 28 novembre au 30 novembre Piccolo Teatro di Milano (Milan) Italie

Du 7 au 11 décembre Théâtre du Nord Lille Tourcoing Hauts de France

Du 18 au 19 décembre Scène Nationale d’Arras Douai

Du 7 Janvier au 6 février 2025 Odeon Théâtre de l’Europe Paris

Du 13 février au 21 février 2025 Les Celestins à Lyon

Du 26 au 28 février 2025 Theatre National de Bretagne

14 et 15 mars 2025 Théâtre de Luxembourg

20 et 21 mars 2025 Théâtre de Liège

Du 28 au 30 mars 2025 Centro Dramatico Nacional (Espagne)

 

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