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La vieille vierge insomniaque, texte et mise en scène de Dominique Collignon-Maurin, à L’Échangeur, Bagnolet

Nov 22, 2022 | Commentaires fermés sur La vieille vierge insomniaque, texte et mise en scène de Dominique Collignon-Maurin, à L’Échangeur, Bagnolet

 

© Frode Bjørnstad

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

On le monte à cru. Il nous emporte dans les plis de sa peau rude, ce théâtre, galopant à flanc de réel. Une monstration où les corps font irruption, aussi impondérables qu’un miracle, aussi imposants qu’une montagne en procession. Ils ont leur poids de jeu, ils connaissent le souffle des mots qui sont des jets de pierre, ils savent les gestes qui sont la chair de leur chair. Ils nous empoignent. Ils font fracas comme des éboulis. Dans un même cri, dans un même ralliement, comme à l’annonce du trépas du roi, ces acteurs clament et la mort du théâtre et la naissance d’un nouveau théâtre dont la folle jeunesse et la magistrale vaillance n’ont que faire de l’émergence (pour citer un terme à la mode dans le théâtre publique). C’est le paradoxe et la magnificence de La vieille vierge insomniaque que d’être métaphysiquement ce début chevauchant sa fin. Une éternité plane, comme un perpétuel recommencement, sur ce qui fait œuvre de l’instant et que la disparition menace. La matière filandreuse et trompeuse du temps a disparu, aspirée et fondue dans la masse des présences. Avec La vieille vierge insomniaque, c’est le corps du théâtre que l’on partage et dévore comme une secrète eucharistie, avec un goût de terre dans la bouche.

La représentation n’aura pas lieu, car ce qui a lieu ici ne représente rien sinon la vigoureuse et salutaire trouée dans l’ordre spectaculaire du monde. C’est l’exception de l’art vengeur et rieur. C’est le vide, celui de la vierge, esseulée sur son lit à barreau, « la pas tâchée, la sans niquer », ce trou qui ne connut pas le plein, et qui, de ce manque, peuple ses nuits insomniaques, engendre ses figures ex nihilo. C’est le syphon sans fond de l’esprit intranquille dont le vortex est comme l’œil tourneboulé recomposant cul par-dessus tête la sainte trinité. Tout cela se mêle à la pelle. C’est le trop plein de cette autre famille, voisine de palier, toute droite sortie de l’armoire, père vicieux, mère acrimonieuse, s’entredéchirant le fils artiste, refoulé, mis en croix par le star-system. « C’est pas bientôt fini ce drame permanent ! » hurlera-t-on. Pendant ce temps, la vierge se lamente : « Des mouches à merde sur le glacis de mes ovaires ! »

Ce théâtre est un sémaphore. Il fait signe de toute part. Nous, tristes contemporains voguant dans un océan d’insignifiance, il nous hèle depuis les terres cartographiées par Antonin Artaud, celles d’un théâtre de la cruauté, terres ensauvagées et affranchies de la mortifère psychologie. La vieille vierge insomniaque s’accouple avec tous les corps des défunts théâtres, de la farce moliéresque à la commedia dell’arte, passant d’une érection à une chiasse, elle emmanche avec une vigueur inégalée les traits de ses illustres prédécesseurs comme autant d’oriflammes. Transportés par une jubilation infinie, qui est une sorte de jouissance sans fin, les actrices et acteurs sont actes purs, parfaite exécution, travaillés musicalement par les mots de Dominique Collignon-Maurin comme l’eau fougueuse façonnant et sculptant la roche. Le texte est un flux poétique et prosaïque, chargé d’assonances, comme la cataracte ouvrant les vannes d’un grand défoulement, une confession malicieuse comme le bourdonnement d’une résurgence, la parole est modulée par des courants souterrains, imprimant à nos oreilles la semblance d’affects dont il ne resterait que la forme évidée, cathartique.

C’est à vue, sans illusion, que ce théâtre joue, dans la franchise de sa lumière, dans le silence ajouré par le carillon d’une horloge de salon, le grincement d’une porte et deux musiciens égrenant quelques notes concrètes. Dominique Collignon-Maurin instaure un régime et une exigence de vérité, de justesse qui passe outre au naturel (qui n’est que l’idéologie esthétique d’une époque qui voudrait se passer de l’art au bénéfice de la culture) pour atteindre à la profération, ultime gloire ceignant le nu de l’existence. Le grand jeu, immense, de Marie Vayssière, Emmanuèle Stochl, Patrick Condé, Jean-Marie Champagne, sert avec humilité et puissance, sans faillir, le grand soir. Et puis, sans prévenir, les corps décharnés de ces géants de la montagne au teint de plâtre, comme épuisés par le ballet des gestes nets et secs, le commerce des seins et des cuisses malaxés, s’en iront sans théâtre, gravant dans nos cœurs émus cette implacable et lucide épitaphe : « Je pars sans magie ».

 

© Frode Bjørnstad

 

 

La vieille vierge insomniaque, texte & mise en scène de Dominique Collignon-Maurin

Avec : Marie Vayssière, Emmanuèle Stochl, Patrick Condé, Jean-Marie Champagne

Musiciens : Frédéric Stochl, Seijiro Murayama

Collaboration à la mise en scène : Valérie Bousquet

Assistanat à la mise en scène : Pierrick Chérat

Musique : Frédéric Stochl, Seijiro Murayama

Lumière : Cedrick Theureaux

 

Durée : 1 h 15

 

 

Du 17 au 24 novembre 2022

Du lundi au vendredi à 20 h 30, relâche dimanche

 

Théâtre L’Echangeur – Bagnolet

59 avenue Général du Gaulle

93170 BAGNOLET

Réservations : 01 43 62 71 20

https://lechangeur.org

 

En tournée :

Du 30 novembre au 2 décembre 2022

Théâtre Garonne – Toulouse

1, avenue du Château d’eau

31300 Toulouse

Billetterie : 05 62 48 54 77

https://www.theatregaronne.com

 

 

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