À l'affiche, Critiques // La vie est une géniale improvisation de Vladimir Jankélévitch, mise scène par Bruno Abraham-Kremer et Corine Juresco au Lucernaire

La vie est une géniale improvisation de Vladimir Jankélévitch, mise scène par Bruno Abraham-Kremer et Corine Juresco au Lucernaire

Oct 21, 2016 | Commentaires fermés sur La vie est une géniale improvisation de Vladimir Jankélévitch, mise scène par Bruno Abraham-Kremer et Corine Juresco au Lucernaire

Article d’Anna Grahm

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© DR

Pousser les portes du théâtre noir du Lucernaire et y trouver un peu de lumière. C’est le pari – réussi – que s’est fixé Bruno Abraham-Kremer quand il décide de porter à la scène la correspondance de Vladimir Jankélévitch.

C’est la traversée d’un siècle, c’est l’épopée d’un homme qui malgré les menaces de son époque, ne cessera de se questionner et d’apprendre à ses élèves à douter. C’est une histoire d’amitié qui commence à vingt ans sur les bancs de la fac et qui perdure pendant 60 ans. C’est un échange épistolaire, fondé sur un temps qui ne reviendra plus mais que l’être humain peut démultiplier pour que ce temps perdu soit conservé, enrichi, anoblit.

C’est aussi de la part de l’acteur un geste d’amour, un engagement et un appel à la réflexion de chacun.

Faire plutôt que dire. S’en tenir aux actes, plutôt que tenir à se dire. Tel est le but que s’est assigné l’homme de raison conscient de son devoir, faire acte de sa seule bonne volonté, sans abandonner sa liberté de penser, s’interroger avec inquiétude et dans l’oubli de soi.

Sur le plateau, d’un côté un bureau jonché de papiers, un appareil à musique et de l’autre un pupitre d’écolier vide. Le public suit pas à pas la quête pudique et obstinée de cette pensée en train de se faire. Au fil des lettres il découvre ou redécouvre le génie de cet homme, au piano tous les soirs, son œuvre immense et son ironie sur les petits inconvénients quotidiens, sa distance sur lui-même, ses descriptions du monde qui bascule.

‘L’essentiel est de devenir ce que l’on est’ Fais-toi ta plume écrit-il à son ami Louis Beauduc resté à Limoges tandis qu’il se déplace de loin en loin. Et à l’heure de la guerre et de la peur, plutôt que de s’apitoyer sur ses angoisses, il préfère encore les chamailleries sur les problèmes graves. Et jamais il ne s’étend sur le pillage de ses biens, la confiscation de ses notes de travail ou de sa chère musique. Mais reste, comme le comédien, entre chien et loup, debout, résistant discret, au bord de la coulisse, continuant de travailler derrière le rideau.

« Je ne sais plus marcher au milieu du trottoir ». « Encourage mes certitudes chancelantes écrit-il à son ami avant la parution de son « traité des vertus » qu’il a mis 10 ans à rédiger.  Et alors que les critiques le trouvent intraitable et sans concession, lui reprochant ses formules brutales, l’acteur passeur tout en sobriété, lui rend justice et montre au public son éternel courage. L’invite à réécouter le son de sa voix si nerveuse, si impétueuse et lui fait prendre conscience de ce désarroi qu’il cache, de ce foisonnement d’idées novatrices et fulgurantes sur notre monde moderne.

A l’heure de la terreur et du regain d’obscurantisme, à l’heure où le tout compromission submerge toute possibilité de penser par soi-même, il est urgent de retrouver la vigilance de ce philosophe d’exception qui s’est attaché de toutes ses forces à construire ses décisions, et à défendre ses positions morales face à ses contradicteurs.

La vie est une géniale improvisation
D’après la correspondance de Vladimir Jankélévitch
mise scène par Bruno Abraham-Kremer et Corine Juresco
Avec Bruno Abraham-Kremer

Du 19 octobre au 11 décembre 2016
Du mardi au samedi à 19h
Dimanche à 15 h

Théâtre du Lucernaire
53 rue notre dame-des-champs 75006 Paris
réservation : 01 45 44 57 34
www.lucernaire.fr

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