© Antonia Bozzi
ƒƒ article de Corinne François-Denève
Pour Lope de Vega, le théâtre se résumait à « quatre planches, quatre tréteaux, deux acteurs, une passion ». Pour Clément Poirée et son Calderón, il en faut un tout petit peu plus : une passion intacte chez ses interprètes, mais une distribution plus étoffée, et surtout l’immense espace du théâtre de la Tempête, dont il exploite toute la profondeur de plateau, la travée centrale, les coursives latérales, habillant de gaze les lointains, drapant de tissus l’avant-scène.
Le début de la pièce nous plonge dans les neiges de la Pologne. Pendant de très (trop ?) longues minutes, des personnages masqués arpentent la scène, silencieusement. Maeterlinck rencontrant Game of Thrones ? Le propos est heureusement assez vite ressaisi, avec l’apparition de Sigismond dans ses fers, et l’exposition du principe de la pièce : une hésitation constante entre rêve et réalité, et l’éducation d’un homme, d’un souverain, à qui tout est donné, après des années de privation, et qui doit apprendre à faire bon usage de sa liberté et d’un pouvoir absolu tout nouvellement acquis.
On peut rester un peu perplexe devant le choix d’un acteur noir pour incarner Sigismond. La Grande-Bretagne ne se demande pas si Hamlet doit être blanc, et cela est bien normal. Toutefois, choisir un acteur noir pour incarner ce Sigismond enfermé dans les fers, et qui, au début, ne sait se comporter que comme un « sauvage », avant de s’éduquer, peut sans doute égarer le spectateur vers des pistes d’interprétation lointaines – all these years a slave – et emmener la pièce de Calderón sur d’autres chemins.
Pour ses images, Poirée balance entre esthétique BD (les naufragés du début, le personnage de Clairon, sorte de Tintin dissonant) et fantaisie baroque (son « Etoile », petite poupée bancale à la Hoffmann). La scénographie est forcément éclatante et virtuose, la mise en scène multiplie les mouvements, diagonales, entrées et sorties de scènes vigoureuses et variées. A ce jeu, Morgane Nairaud doit donner toute la force de son si grand talent pour lancer, de la travée centrale, invisible à la plupart des spectateurs, son long monologue. John Arnold est plus gâté, qui trône souvent au centre de la scène, ou en bas des gradins, l’œil vif, jamais en repos, gourmand et désespéré, Sir Tobie à la robe chamarrée dont on ne lâche jamais les paroles. Enfin, à chacune de ses apparitions, la lumière rasante dessine la silhouette impeccable de Pierre Duprat, dandy cintré dans sa redingote, lançant ses répliques avec un sens du tempo toujours parfait.
La Vie est un songe de Calderón
Texte français de Céline Zins
Mise en scène de Clément PoiréeAvec John Arnold, Louise Coldefy, Thibaut Corrion, Pierre Duprat, Laurent Ménoret, Morgane Nairaud, Makita Samba et Henri de Vasselot
Scénographie Erwan Creff
Lumières Kevin Briard assisté de Laurent Cupif
Costumes et masques Hanna Sjödin assistée de Camille Lamy
Musiques et son Stéphanie Gibert assistée de Michaël Bennoun Maquillages et coiffures Pauline Bry
Collaboration artistique Margaux Eskenazi
Régie générale Farid Laroussi
Habillage Emilie LechevalierDurée 2h30
Du mardi au samedi à 19h, le dimanche à 16h
Jusqu’au 22 octobre 2017Réservations : 01 43 28 36 36
Théâtre la Tempête
Cartoucherie
Route du champ de Manœuvre
75012 Pariswww.la-tempete.fr
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