La vie est un rêve © Jean Louis Fernandez
ƒƒƒ article de Corinne François-Denève
Au creux du lieu imaginé par Maurice Pottecher, les journées se déroulent selon un rituel immuable : « grande » pièce jouée à 15 heures, avec la très attendue ouverture du fond de scène, vers la fin ; et « petite » pièce à 20 h, sans le cérémonial du plateau ouvert. Sous l’égide de Simon Delétang, directeur du lieu depuis deux ans, peu de choses ont changé : les dates ont glissé, faisant commencer l’été à Bussang fin juillet, pour le faire se finir mi-septembre. Delétang, comme nombre de ses prédécesseurs, rêve de sortir Bussang de sa temporalité festivalière, et d’en faire un lieu théâtral vivant à l’année. Il a ainsi entrepris l’hiver passé un périple théâtral qui l’a conduit à faire voyager le Lenz de Büchner dans les montagnes vosgiennes. Choix de décentralisation, mais aussi de resserrement sur le territoire : si les amateurs ont dès l’origine été au centre de la création, à Bussang, ils s’intégraient, ces derniers temps, dans des distributions largement professionnelles, invitées à se produire au Théâtre du Peuple et à composer avec le lieu et les personnes. Cette année, les amateurs composent l’écrasante majorité des acteurs et actrices de La vie est un rêve, de Pedro Calderón de la Barca. La petite pièce, quant à elle, Suzy Storck, est le fait d’une autrice locale, revenue depuis peu s’établir à Epinal, Magali Mougel.
Présenté dans la nerveuse traduction de Denise Laroutis, La vie est un rêve trouve évidemment un décor idéal au sein du Théâtre du Peuple. L’ouverture programmée s’insère parfaitement au propos de la pièce. Toutefois, on attendrait en vain de cette ouverture une échappée vers le rêve : la mise en scène de Jean-Yves Ruf, adaptée au cadre, est résolument naturaliste. Foin de « méta » – théâtre ou – physique, il ne sera question ici que d’une lutte de succession, où les séditieux, tel Robin des Bois, sortent de la forêt vosgienne. Parmi les acteurs et actrices, les professionnels Thierry Gibault (Basile) et Léa Tissier (Rosaura) soutiennent sur leurs épaules, par leur métier, leur engagement et leur abattage, l’ensemble de leurs partenaires. Professionnel lui aussi, Mickaël Pinelli Ancelin, en Clairon truculent, semble vouloir improviser sans fin et occuper tout l’espace, comme pour soulager les autres – mais il les efface parfois. Quel défi en effet que de composer un Clothalde ou un Sigismond, sur lesquels tant de « grands » acteurs se sont cassé les dents. Le choix de Sidney Cadot Sambosi, en Etoile noire, est tout aussi brillant que celui de Sylvain Macia en Sigismond – petit Néron adulescent. Mais si Cadot Sambosi enchante souvent, riche de promesses et de puissance, Macia se révèle bien fragile à incarner le chemin spirituel et amoureux de son écrasant personnage. La production, toutefois, n’a rien d’un spectacle de patronage, tant est sérieux et profond le travail mené sur le texte. Une scénographie minimaliste mais efficace le soutient – chevaux à la Rude, dais néo-classique et esthétique pompière, plus que baroque. Et reste la féérie propre à tout spectacle de Bussang : la magie des bénévoles composant la horde de rebelles, déboulant sur scène, avec un petit garçon lancé à toutes jambes, qui traverse le plateau et lâche son cri avec ferveur et conviction – et une si chic demi-seconde de retard ; la splendeur d’un cheval (Salgado) qui se découpe, altier, sur le fond de la scène ouverte.
Le soir, toute autre est l’ambiance. L’héroïne de la pièce de Magali Mougel, Suzy Storck, est une enfant du cru qui n’a sans doute pas eu la chance d’aller à Bussang prendre le temps du rêve. Elle ploie, et va plier, sous la désormais bien connue charge mentale – à moins que ce soit la faute à la fatalité. Jeanne Dielman n’habite plus à Bruxelles, mais sans doute vers Lépanges-sur-Vologne ; Médée s’est relocalisée sur la Moselle. Au début, on craint le pire, terrorisé.e à l’idée d’être l’otage d’un théâtre pseudo-documentaire aux accents durassiens (« il dit », « elle dit »…) et aux gadgets cent fois revus (micro, appareil électroménager en guise d’accessoire, stroboscopes et techno, scène de transe en discothèque…) – et puis non. Mougel nous cueille par une histoire simple et tragique, même pas forcément sublime. Naissance de l’amour à Est Volailles, grandeur et décadence du Super U du Grand Est… On passe de Duras à Dubillard, ou à Perec, pour une scène de recrutement. Simon Delétang, qui met en scène et joue, sert le texte avec une grande intelligence et, surtout, avec un point de vue. Rien de glauque et de racoleur dans cette apparence de Faites entrer l’accusée, rien de manichéen non plus. Micro, machine à laver, stroboscopes, montagne de linge façon Arte Povera, rien n’est gratuit ou factice dans la mise en scène, comme d’ailleurs dans le texte. Très (bien) écrit, ce Suzy Storck est aussi une entreprise vraiment théâtrale aux images léchées : un Klimt sur fond de T-shirts crados, une madone sans enfant coincée entre deux espaces. Sans oublier la chauve-souris, variante du chat de la cour d’honneur à Avignon, qui s’invite parfois à la représentation, et gratifie les spectateurs de son vol, dans la lumière des stroboscopes, Batwoman étendant son aile protectrice sur la pauvre Suzy.
Suzy Storck © Jean Louis Fernandez
La vie est un rêve de Pedro Calderón de la Barca
Traduction Denise Laroutis
Mise en scène Jean-Yves Ruf
Avec : Sidney Cadot Sambosi, Baptiste Delon, Martial Durin, Hugues Dutrannois, Thierry Gibault, Simon Klein, Thomas Lelo, Sylvain Macia, Mickaël Pinelli Ancelin, Léa Tissier et Yvain Vitus
Scénographie Aurélie Thomas
Costumes Marie-Frédérique Fillion
Lumière Christian Dubet
Son Jean-Damien Ratel
Assistante à la mise en scène Anissa Daaou
27 juillet au 7 septembre, jeudi au dimanche à 15 h
Grande Salle
Durée : 2 h 45 avec entracte
Spectacle conseillé à partir de 12 ans
Halte-garderie les dimanches 4 et 25 août
Suzy Storck de Magali Mougel
Mise en scène de Simon Delétang
Avec Marion Couzinié, Simon Delétang, Françoise Lervy et Charles-Antoine Sanchez.
Scénographie Simon Delétang
Costumes Marie-Frédérique Fillion
Lumière Jérémie Papin
Son Nicolas Lespagnol-Rizzi
Ingénieur conseil Hervé Cherblanc
Accessoiriste Léa Perron
Assistante à la mise en scène Polina Panassenko
7 août au 7 septembre, du mercredi au samedi à 20 h
Grande Salle
Durée 1 h 20
Spectacle conseillé à partir de 14 ans
Le Théâtre du Peuple – Maurice Pottecher
40 Rue du Théâtre
88540 Bussang
Réservations : +33 (0)3 29 61 62 47
https://www.theatredupeuple.com/programme/la-vie-est-un-reve
Tournée 2020 :
2 et 3 avril – Comédie de l’Est à Colmar
7 et 8 avril – Comédie de Reims
16 avril – Scènes du Jura, Scène nationale de Lons-le-Saunier
5 et 6 mai – Granit à Belfort
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