À l'affiche, Critiques // La Victoire en chantant, création collective sous la direction de Raymond Acquaviva, Théâtre 13

La Victoire en chantant, création collective sous la direction de Raymond Acquaviva, Théâtre 13

Mai 11, 2019 | Commentaires fermés sur La Victoire en chantant, création collective sous la direction de Raymond Acquaviva, Théâtre 13

 

© Bruno Perroud

 

 

ƒƒ Article de Sarah Kellal

Le 7 mai dernier, au Théâtre 13, c’est une belle soirée que nous ont offert Raymond Acquaviva et ses comédiens-chanteurs pour la première de La Victoire en chantant. Un cabaret citoyen composé de chants, de poèmes et de textes, précieux témoignages des temps passés et véritable plongée au cœur des conflits qui les ont abîmés. Une traversée en près de cinquante chansons datant de la première et seconde guerre mondiale et de l’entre-deux guerres.

De la chanson grivoise en passant par le chant patriotique, tels La Veuve joyeuse de Frantz Lhear, Panam d’Antoine Cholier, La Madelon de Louis Bousquet ou encore Le Chant des partisans, à des poèmes, comme La Nouvelle barbarie d’Aragon, Liberté de Paul Éluard, La Crise de l’esprit de Paul Valéry : le répertoire est riche et varié. Une mélodie nous évoque un air fredonné par un grand-parent, dont on ne connaissait pas exactement les paroles et dont on découvre toute la beauté et tout le sens, une autre est une totale découverte et l’on goûte à une partie du patrimoine inconnu ou oublié.

La scène est sobrement mais joliment décorée de sacs en toile de jute, de drapeaux, d’une estrade… Un décor simple qui se transforme et s’adapte au gré des tableaux. L’accordéoniste Aude Giulano (ils seront trois à se relayer), excellente musicienne, accompagne ce soir-là avec talent les comédiens. Des images d’archives, projetées en fond de scène, apportent densité, véracité et profondeur à l’ensemble.

Deux parties composent le spectacle : 1914/1918 et la boucherie qu’ont été les tranchées et le drame d’une jeunesse sacrifiée et 1939/1945 et l’atrocité du nazisme. L’occasion de s’immerger dans les plaies d’une Europe ensanglantée, abattue mais aussi vivante. En lambeaux mais palpitante. L’enfer, son obscurité, la fatigue et la peur, mais aussi l’espoir et la résistance. Du rire enfin, pour tenir, pour se souvenir du temps d’avant l’horreur et espérer qu’il revienne. C’est toute la beauté et la monstruosité du monde qui nous sont donnés en partage.

Ça virevolte, ça danse, ça chante. De monologues en scènes collectives, les tableaux s’enchaînent avec rythme tout en nous laissant le temps de recevoir et de laisser résonner les textes. Chacun d’eux laissent son empreinte, un sourire ou un cœur qui se sert, ou les deux. La lettre de Michel Manouchian à sa femme quelques heures avant d’être tué le 21 février 1944 est l’acmé du spectacle. « Ma chère Méline, ma petite orpheline bien aimée. Dans quelques heures je ne serai plus de ce monde. On va être fusillé cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, j’y ne crois pas, mais pourtant, je sais que je ne te verrai plus jamais. ». La salle suspend son souffle et les yeux brillent.

Passent aussi une prostituée haute en couleur qui a côtoyé du « boche », un poilu tétanisé et noyé dans l’horreur, un commandant hystérique, une jeune femme qui guette et attend l’amour, un juif, un travesti de cabaret nazi et tant d’autres… Pour incarner ces multiples êtres, les comédiens sont tous justes et généreux. Citons tout particulièrement Benoît Facerias, excellent, fantasque, Louise Corcelette, tout aussi juste dans le registre dramatique qu’humoristique et Quentin Morant, à la présence forte, fédérateur, excellent lui aussi. L’esprit de troupe est là, et chacun joue sa partition au service de l’ensemble.

Raymond Acquaviva dit, à propos de ce travail : « Puisse chacun de nous garder le souvenir de ces douleurs anciennes pour que nos enfants, à leur tour, en ce nouveau millénaire, échappent à la barbarie. » On aimerait faire le même vœu que lui, mais comment s’empêcher de penser aux douloureuses réalités que traversent d’autres que nous, hors de nos frontières ? Syrie, Irak, Afghanistan, Yémen… Les images se bousculent. On ne peut aujourd’hui décemment pas être spectateur de La Victoire en chantant en ne se limitant qu’à notre histoire française et/ou européenne.

Cette nouvelle création de Raymond Acquaviva sonne comme un acte artistique de devoir de mémoire mais aussi comme un cri d’alarme pour les temps à venir. Qui et que chantera-t-on demain ? Dans dix, cinquante, cent ans ? Quels mots et quels cris viendront témoigner des barbaries du présent ? Qui pleurerons-nous ? La Victoire en chantant nous laisse habités et troublés par cette vertigineuse question, avec beauté et douceur. Là est sa réussite.

 

 

© Bruno Perroud

 

 

La Victoire en chantant, création collective sous la direction de Raymond Acquaviva

Textes & chansons Charles Péguy, Paul Claudel, Guillaume Apollinaire, Roland Dorgelès, Jules Romains, Raymond Queneau, Louis Aragon, Jean Tardieu, Albert Camus…

Avec les comédiens-chanteurs Pierre Boulben, Louise Corcelette, Benoit Facerias, Philippine Martinot, Quentin Morant, Fabio Riche, Lani Sogoyou, Josephine Thoby

Assistant à la mise en scène et direction musicale : Quentin Morant,

Lumières : Philippe Sazerat

Scénographie et costumes : Raymond Acquaviva

 

Du 7 mai au 16 juin 2019

Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h

Relâche le lundi

 

1h40 sans entracte, conseillé à partir de 12 ans

 

 

Théâtre 13 / Jardin

103 A, boulevard Auguste-Blanqui

75013 Paris

 

Réservation par téléphone : 01 45 88 62 22

(du lundi au vendredi de 14h à 19h et en période de représentation le samedi le 14h à 19h et le dimanche de 14h à 15h)

www.theatre13.com

Métro Glacière

 

Be Sociable, Share!

comment closed