À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // La Vestale, opera de Gaspare Spontini, livret d’Etienne de Jouy, mise en scène de Lydia Steier, direction musicale de Bertrand de Billy, à l’Opéra Bastille

La Vestale, opera de Gaspare Spontini, livret d’Etienne de Jouy, mise en scène de Lydia Steier, direction musicale de Bertrand de Billy, à l’Opéra Bastille

Juil 04, 2024 | Commentaires fermés sur La Vestale, opera de Gaspare Spontini, livret d’Etienne de Jouy, mise en scène de Lydia Steier, direction musicale de Bertrand de Billy, à l’Opéra Bastille

 

© Guergana Damianova

fff article de Denis Sanglard

 « Talis est ordo deorum » (tel est l’ordre des dieux), tagué sur un mur de béton ou sont pendus par les pieds trois cadavres, inscrit d’emblée cet opéra de Gaspard Spontini sous des auspices théocratiques et de fait la mise en scène radicale de Lydia Steier, une dystopie où pouvoir militaire et religieux ont partie liée dans une dictature oppressive et sanglante, dépasse le simple livret de la Vestale pour une réflexion plus profonde et politique dont l’écho s’avère aujourd’hui troublant et hélas prémonitoire. Les amours interdites entre la vestale Julia et Licinius sont projetés dans un univers dont la référence explicite est La servante écarlate de Margaret Atwood. Les vestales, à qui l’on rase le crâne, sont condamné ici au service d’une idéologie militaire qui prône la virginité, un culte de la pureté comme unique valeur et caractéristique féminine.  Dans cet amphithéâtre à l’abandon où Lydie Steier déplace l’action, qui n’est pas sans rappeler celui de la Sorbonne, comme le cœur du roman était l’université de Harvard, la flamme sacrée est alimenté par un autodafé, les livres sont brûlés, le savoir anéanti. De même que dans Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, la pensée unique doit régner. La réussite incontestable de cette mise en scène est de garder de bout en bout ce cap avec une cohérence sans défaut, sans rien occulter de la violence tant morale que physique, jusqu’à oser une résolution inattendue et glaçante, très loin du livret, où nos deux héros, ayant résisté au systèmes qui les broient et pardonnés par Venus, sont abattus alors que chante le chœur « chants d’allégresse, aimable ivresse ». Exécution ordonnée par Cinna, « l’ami fidèle » de Licinius. La prise de pouvoir n’a que faire de l’amitié. Cruelle et terrible ironie.

Si Lydia Steier tord ainsi le livret, voire l’enrichit par son propos dramaturgique décontextualisé, la tension dramatique entre en osmose avec la partition sans égale de Spontini, d’une rare densité expressive. Quoique puisse en dire certains puristes, encore effrayés par cette mise en scène hors-norme et sans concession – pas de joliesse ici où l’amour est pris en tenaille par l’autorité religieuse et le politique- mais d’une grande intelligence par ce qu’elle dit sans afféterie d’un état du monde qui vacille, entre la fosse et le plateau l’entente est sans accroc et d’une rare subtilité. Plus qu’au livret, sommaire, c’est sans nul doute à la musique que Lydie Steier se réfère pour insuffler à sa mise en scène une tension qui jamais ne se relâche, même dans les moments d’accalmie toute provisoire. L’engagement des chanteurs, soulignons une direction d’acteurs au cordeau et d’une maîtrise sans défaut, jusqu’au chœur imposant qui impressionne par sa mobilité, qui se plient aux exigences théâtrale de Lydia Steier sans barguigner.

A mise en scène d’exception qui ne les lâche pas, chanteurs d’exception qui ne lâchent rien. Lydia Steier ne les ménage pourtant pas, particulièrement Elza van den Heever (Julia) dans ce rôle écrasant et physique (du moins dans cette mise en scène) et dont elle donne une interprétation bouleversante, toute de nuance qui culmine entre-autre par deux fois, « Toi que j’implore avec effroi » (II, 2) et « Toi que je laisse sur terre » (III,5). Sa voix puissante et lumineuse, d’une grande plasticité, alliée à une diction impeccable, lui permet de dessiner un personnage plus complexe qu’il ne paraît et offrir au public, sidéré par la violence distillée dont elle est la victime, des instant bouleversants d’émotions et de gravité bienvenues. Dans le rôle de la Grande Vestale, la mezzo-Soprano Eve-Maud Hubaux offre une interprétation loin des conventions ordinaires. Femme tranchante et dure, sadique et violente, le troisième acte la voit défaite et brisée, victime à son tour d’un régime oppressif dont elle fut la collaboratrice. Sa voix sombre et claire accompagnée d’un phrasé remarquable modèle son personnage avec un relief dramatique certain. Le ténor Michael Spyres campe un Licinius tout de nuance, d’une grande expressivité dramatique – c’est d’ailleurs le point commun de tous les interprètes de cette distribution – ne fait de cette partition difficultueuse qu’une bouchée. Le couple formée avec Elza van den Heever participe de la réussite de ce plateau vocal. Julien Behr de même, voix tranchante et solide, accordée à merveille à celle de Michael Spyres, le retournement final que lui impose la metteuse en scène et que nous n’avions pas vu venir, en fait un personnage duplice inattendue l’extirpant, comme Eve-Maud Hubaux- de la convention. La basse Jean Teitgen en Souverain Pontife est d’une autorité naturelle qui sied au tyran. Et dans la fosse Bertrand de Billy à la baguette allie précision, nuance et théâtralité.

Lydie Steier prouve une fois encore, Après Salomé -tout aussi controversée par son parti-pris dramaturgique– combien une lecture intelligente d’une oeuvre opératique volontairement extirpé de son contexte dramaturgique ne le dénature pas nécessairement mais au contraire lui donne un souffle nouveau. Ce n’est pas forcement volonté de faire œuvre de modernité à tout prix, tirer l’œuvre à soi, mais simplement l’ouvrir, le frotter au monde contemporain pour poser cette simple question, que nous en dit-il aujourd’hui ? Gaspard Spontini en filigrane interrogeait l’empire napoléonien, idée que reprend Lydie Steier dont la référence explicite est ici dans le couronnement de Cinna – qui n’est pas sans rappeler la toile du couronnement de Napoléon par David – en projetant cet opéra dans un avenir, une dystopie marquée par l’Histoire, signe d’une conscience  inquiéte et lucide au monde.

 

© Guergana Damianova

La Vestale, opéra de Gaspare Spontini

Livret d’Etienne de Jouy

Direction musicale : Bertrand de Billy

Mise en scène : Lydia Steier

Décors : Etienne Pluss

Costumes : Khatarina Schlipf*

Lumières : Valeria Tiberai*

Vidéo : Etienne Guiol

Dramaturgie : Olaf A. Schmitt*

Cheffe des chœurs : Ching-Lien Wu

Orchestre et chœur de l’Opéra national de Paris

 

Avec : Michael Spyres, Julien Behr, Jena Teitgen, Florent Mbia, Elza van den Heever, Eve-Maud Hubeau

*début à l’Opéra national de Paris

 

Jusqu’au 11 juillet 2024

Durée 3h25, avec deux entractes

 

Opéra Bastille

Place de la Bastille

72012 Paris

 

Réservations : www.operadeparis.fr

 

Be Sociable, Share!

comment closed