© Ph. Lebruman
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Première pièce d’un jeune auteur de 26 ans, Shakespeare, tragédie qui ne fait pas dans la mesure mais dans la surenchère, démesurée et impraticable, de guingois même, ce qui va très bien à la compagnie du Zerep qui n’aime rien moins que les paris impossibles. Shakespeare n’y va pas avec le dos de la cuillère, plutôt avec une bonne grosse louche, multipliant les meurtres, les mutilations, le cannibalisme, accusant franchement la violence et la folie, appliquant à la lettre ce que Gide résumera magistralement plus tard, « familles je vous hais ». Bref, c’est sang pour sang gore, granguignolesque avant l’heure, étrange tragédie qui tient de la farce et pas seulement d’une tourte aux marmousets. Et comme le résume très bien Sophie Perez, « c’est toutes les fêtes d’Halloween en une seule . » Alors que faire avec ça, comment représenter l’irreprésentable sans tomber dans le ridicule ? Pratiquer à fond le second degré, la parodie (et la tragédie y prête volontiers son flanc) et surtout ne pas représenter la chose en elle-même mais ce qui se cache derrière, les ressorts cachés, les pulsions inavouables qu’elle procure. Et pour ça, cette compagnie a le tour de main et l’intelligence suffisamment tordue doublée d’un sens du ridicule qui ne tue pas sauf pour mourir de rire. La compagnie du Zerep fait oeuvre ici en toute logique de dissection et tranche dans le lard. Shakespeare est promptement équarrit, de la pièce ne reste que quelques morceaux de choix, bien saignants, un bout de l’acte V et quelques répliques comme autant d’organes, d’abats extirpés de la bête et examinés sur le billot que devient le plateau. Et avec le peu qui reste, le gras ou le maigre, expérimenter, bricoler et voir ce que l’on peut en faire et jusqu’où on peut aller dans la représentation, son demembrement, puisque telle est la question. En somme recoller les morceaux, greffer et voir surgir une nouvelle créature tout aussi monstrueuse baptisé méta-théâtre. Ou simplement, bêtement et sans provocation le plaisir pur du jeu comme on joue avec des allumettes avant d’allumer un barbecue et de foutre le feu à la forêt. Certainement les deux mon général. Avec l’angle clownesque parce que les clowns derrière leur nez-rouge ont le sens réel du tragique.
Après un démarrage en fanfare, au réel, suivi immédiatement d’un entracte, à peine cinq minutes après avoir commencé, pendant lequel la compagnie s’installe tranquille comme baptiste avec pour fond sonore la version jazz de la B.O de MASCH – on est donc prévenu, tout ça va relever de la chirurgie , à tout du moins de la boucherie – et qu’improvise une des actrices pour combler l’attente, la pièce commence enfin par la nécessité de se débarrasser très vite des références qui vous empoissent que l’on cite d’emblée (Peter Loore, Orson Wells, Peter Brook, Vincent Price… – oui et cela titille notre curiosité-), pour ne faire que ce que la compagnie sait faire, foutre le bazar. Mais comme toujours le chaos est parfaitement maîtrisé. Et des références citées elle emprunte de quoi faire, pastichant et hachant menu-menu tout ça, faisant feu de tout bois. Hommage rendu à la Hammer par exemple, en technicolor, dans une scène de banquet hilarante ou encore de préparation de tourte à la viande. Ou le jouer le plus sérieusement du monde, enfin presque, à la Peter Brooke version péplum (musique ad-hoc en prime), scène étirée jusqu’à son épuisement… Les scènes se suivent ainsi cahin-caha et semblent n’avoir de logique qu’un esprit d’escalier, une idée en amenant une autre devant le matériaux à exploiter. On cite Deleuze avant de s’étriper. Une conférencière affublée du nez de Pinocchio dispense une conférence, analyse psy et socio de la pièce. La scène finale, un massacre, digne des Marx Brother, d’un film muet ou d’une entrée de clown, reprise encore et encore, ramène au final cette pièce à ce qu’elle pourrait être, une vaste farce. Avec pour fil rouge (évidemment) cette appétence pour le grand-guignol, les masques et le carton-pâte. Et pour cette entreprise de démolition il faut bien des acteurs au diapason. Ils s’y collent avec une évidente jubilation et ne cessent de dénoncer ce qu’ils font, toujours au bord de lâcher l’affaire, quand ils n’y vont pas à fond, tripatouillant leur personnage jusqu’à l’absurde et le grotesque pour atteindre une étrange vérité. La vengeance est un plat, certes, mais avec la compagnie Zerep, un doute nous assaille soudain devant ce plat gouteux et saignant concocté par Sophie Perez et ses commis : le théâtre n’est-il pas au final du réchauffé, une même recette mais avec l’art consommé d’accommoder la sauce ?
© Ph. Lebruman
La vengeance est un plat ou La lamentable histoire de Titus et André Nicus, conception, mise en scène et scénographie de Sophie Perez
Textes : Sophie Perez, Pacôme Thiellement ( Acte I et II), William Shakespeare ( acte V, légèrement modifié)
Avec : Sophie Lenoir, Stéphane Roger, Marlène Saldana, Gilles Gaston-Dreyfus, Françoise Klein, Erge Yu, Marie-Pierre Brébant, Adrien Castillo, Baptiste de Laubier
Assistanat à la mise en scène : Baptiste de Laubier
Costumes : Sophie Perez, Corinne Petitpierre
Réalisés par : Anne Tesson
Bande originale : Sophie Perz
Musique : Xavier Boussiron
Lumières : Sophie Perez, Fabrice Combier
Son : Felix Perdreau
Régie générale : Léo Garnier, Frédéric Pierre
Régie plateau et assistanat à la scénographie : Adrien Castillo
Régie lumières : Gildas Roudaut et Léo Grosperrin
Sculptures : Dan Mestanza, Adrien Castillo
Décor : Daniel Mestanza, atelier de la MC93, Marion Duvignage, Théo Jouffroy
Du 25 au 30 novembre 2023
Le samedi à 19h, le dimanche à 16h, du mardi au samedi à 20h
MC93
9 boulevard Lénine
93000 Bobigny
Réservation : www.mc93.com
Reprise de la pièce du 9 au 21 janvier 2014 à L’Athénée-Louis Jouvet
www.athenee-theatre.com
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