© Laurent Schneegans
ƒƒ article de Denis Sanglard
Ça commence par un rideau de fumée et c’est peut-être bien ça Hamlet, la tragédie d’Hamlet à laquelle nous allons assister, un vaste rideau de fumée ne laissant entrevoir que des ombres vagues dans un mode flottant, bientôt dissoutes. Ne resterait alors que la parole. Et le silence. Guy-Pierre Couleau met en scène La tragédie d’Hamlet, l’adaptation qu’en fit Peter Brook et traduite par Jean-Claude carrière et Marie-Hélène Estienne. Une version resserrée, à l’os. Et c’est bien cela qui est mis en scène, ce texte qui demeure sans réponse, jamais, dans cette scénographie volontairement austère, théâtre désossé, quelques chaises dépareillées, plateau nu, borné au sol par un tapis, simple quadrilatère pour unique espace de jeu, rarement franchi. Rien donc qui ne fasse obstacle au texte. Un dépouillement aride jusque dans la direction d’acteur. Rien de flamboyant, de théâtral. Un jeu comme introverti percés de quelques éclats échappés vite étouffés. Une version dans la retenue, l’élan contenu, dans le murmure ou peu s’en faut. Ce qui étonne et peut être désarçonne c’est bien ce jeu-là, celui de Benjamin Jungers, pâle Hamlet blond, d’une étrange et inquiétante banalité. Pas un héros, non, loin de là, loin s’en faut. C’est un gentil garçon, presqu’un brave type. Qu’un spectre réveille, oblige à la vengeance et entraîne dans un cauchemar éveillé, malgré lui. Cet Hamlet-là est un somnambule au destin brutalement assigné et bien trop grand pour lui. Jamais un mot plus haut que l’autre mais sa force est là, dans les mots justement. Un personnage dépouillé de toute parure et dont la force est dans ce verbe aiguisé, tranchant comme une lame. Benjamin Jungers ne fait aucun sort à chacun d’entre eux. Nulle réplique appuyée. Point de moulinets. Mais une impressionnante précision, presque froideur, dans la scansion et le souffle. Et c’est là sa grande force, la puissance de son jeu et de son personnage. Être ou ne pas être n’est pas la question ici. Je est un autre, jusque dans ses failles, voilà sans doute la clef de cet Hamlet. Un Hamlet en distance toujours, des événements et de lui-même. Toute cette tragédie ici semble ainsi une longue introspection hallucinée projetée là, sur ce plateau nu par un être absent à lui-même et aux autres et qui n’aurait d’autre matérialité et lien au monde que ce verbe vengeur, performatif. Et c’est dans le dérèglement du langage que se joue la folie. D’ailleurs Benjamin Jungers ne la joue pas, ne joue pas Hamlet feignant la folie. Il l’exprime, c’est tout. Là est le théâtre affirme Guy-Pierre Couleau, dans ce verbe qui contient le monde, sa source et son anéantissement. Et Hamlet en est le héraut.
© Laurent Schneegans
La Tragédie d’Hamlet de William Shakespeare
Adaptation de Peter Brook, texte français de Jean-Claude Carrière et Marie-Hélène Estienne
Mise en scène de Guy-Pierre Couleau
Cie Des lumières et des ombres
Avec Emil Abossolo M’bo, Bruno Boulzaguet, Marco Caraffa, Benjamin Jungers, Anne le Guernec, Nils Ohlund, Thomas Ribière, Sandra Sadhardheen
Scénographie Delphine Brouard
Musiques et son Frédéric Malle
Chorégraphie de combat Florence Leguy
Costumes Camille Pénager
Lumières Laurent Schneegans
Assistante à la mise en scène Mona Terrones
Durée 1 h 45
Représentation professionnelle donnée au Théâtre 13, Jardin, 103 Bd Auguste Blanqui, 75013 Paris le 12 mars 2021
Tournée
30 septembre 2021 théâtre d’Auxerre
9 novembre 2021 Carré, scène nationale de Château Gontier
Hiver 2022 :
7 janvier ou 21 avril 2022 Théâtre Victor Hugo, Bagneux
Du 8 au 19 février 2022 Théâtre 13 Paris
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