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La rue, d’après le roman d’Isroël Rabon, mis en scène par Marcel Bozonnet, au Théâtre du Soleil

Sep 27, 2021 | Commentaires fermés sur La rue, d’après le roman d’Isroël Rabon, mis en scène par Marcel Bozonnet, au Théâtre du Soleil

 

© Pascal Gely

 

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

Par instants, la vie n’est pas sûre. C’est le titre du dernier livre de Robert Bober, une longue lettre dédiée en grande partie à l’écriture des autres, le récit d’une vie fait de mots justes et simples, un parcours éclaté tel un puzzle. Robert Bober y parle notamment de la langue et de la culture yiddishs, quasi-disparues avec l’extermination des juifs par les nazis. Alors, quand une amie m’informa de la création prochaine d’une pièce tirée d’un roman yiddish d’Isroël Rabon, La rue, traduit par Rachel Ertel (citée à plusieurs reprises par le même Robert Bober), ce fut comme si cette proposition s’inscrivait avec une évidence chargée de sens dans le prolongement de ma lecture tout juste terminée. Et oui, par instants, la vie nous fait signe.

Marcel Bozonnet, dont je garde en mémoire l’inaltérable et précieuse Princesse de Clèves, est à l’origine de cette entreprise, en est le maître d’œuvre. Si le théâtre est au sens littéral affaire de répétitions à travers les âges, particulièrement en ce qui concerne les pièces de répertoire, leurs textes avec le temps comme tatoués dans la peau du théâtre, il est beaucoup plus rare qu’il soit l’artisan du désenfouissement d’un texte en train de fondre dans l’oubli. De cette origine précaire, il reste quelque chose dans la mise en scène de Marcel Bozonnet, comme une tension souterraine face au risque de la disparition.

La Rue est un roman publié en 1928, et raconte l’errance d’un soldat démobilisé dans la ville de Lodz, le corps et l’esprit mis à l’épreuve du froid, de la faim et de la fatigue. C’est une narration puissante, parce que surgie d’une subjectivité aux prises avec le réel le plus concret. Cette voix, dans un contexte différent, m’a rappelé celle d’Emmanuel Bove (Mes amis, 1924). Sans effet de manche, sans illusion, au ras du réel, Isroël Rabon produit une prose qui nomme ce qu’elle voit. Et qui s’adresse au cœur de qui l’écoute. Il y a dans cette volonté de dire coûte que coûte, d’une part le point de vue d’un homme brinquebalé par les autres et les choses, comme un fétu de paille dans une rue ventée, mais il y a aussi comme la nécessité impérieuse de faire le compte / le conte d’un monde en train de disparaître, promis à la destruction.

De cette menace palpable, dont est empreint le texte avec une indéniable intuition prophétique, de cette vulnérabilité des êtres et de leurs vies, se nourrit la mise en scène de Marcel Bozonnet. Il y a d’abord l’usage de marionnettes, d’inspiration expressionniste, qui apporte, tout en subtilité, une fragilité aux personnages, un décalage précaire dans le récit et avec les autres acteurs, cette utilisation atteignant son climax avec l’apparition de la propre marionnette du soldat, auparavant incarné par l’acteur Stanislas Roquette. Ces personnages sont comme flottants, dans l’éther du temps, ici visibles par la magie d’un spectacle, comme s’il avait suffi de les nommer pour les faire apparaître. Leur existence ne tient qu’à un fil.

A de nombreuses reprises, je me fis la réflexion que ce roman écrit dans une langue en voie d’extinction comme peuvent l’être certaines espèces, et ce spectacle comme fabriqué, arte povera, de bric et de broc poétiques, apparaissaient dans la salle de répétition du Théâtre du Soleil, salle aux murs blancs dont on ne peut faire abstraction, comme en filigrane de notre contemporain. Ou comme un palimpseste. Les projections vidéos, sur le fond de scène blanc, y sont pour beaucoup, mais aussi la performance circassienne, la musique électroacoustique en live, cet écart entre représentation et récit tenu de bout en bout, jouent de cette logique de la surimpression, et de la menace de l’effacement face à une actualité qui passerait outre son passé.

La rue est indispensable pour ce qu’elle restitue d’une écriture singulière et ce qu’elle peut aussi nous dire entre les lignes de la fragilité du monde et de l’homme.

 

 

© Pascal Gely

 

La rue, adaptation Jean-Pierre Jourdain et Marcel Bozonnet

D’après le roman d’Isroël Rabon traduit du yiddish par Rachel Ertel

Mise en scène Marcel Bozonnet en collaboration avec Pauline Devinat

Avec Stanislas Roquette (le soldat), Lucie Lastella (Josefa, artiste de cirque), Jean Sclavis (Le vieux marionnettiste juif), Laurent Stocker de la Comédie Française (Le directeur de l’usine (à l’écran))

Dramaturgie Judith Ertel

Marionnettes Emilie Valantin

Scénographie Adeline Caron

Costumes Renato Bianchi

Lumières Philippe Catalano

Live électroacoustique Gwennaëlle Roulleau

Vidéo Quentin Balpe

 

Durée 1 h 20

Du 15 au 25 septembre, puis du 5 au 10 octobre 2021

Du mardi au samedi à 20 h 30

Représentation supplémentaire le dimanche 10 octobre à 16 h

 

 

Théâtre du Soleil

2 Rte du Champ de Manœuvre

75012 Paris

 

Réservation : 06 44 02 73 30

https://www.theatre-du-soleil.fr

 

 

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