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ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Une heure de visions hallucinées, une heure de cauchemar poisseux et funèbre, une heure dans la tête folle de Richard III. Carmelo Bene pour l’adaptation première, Georges Lavaudant pour la trahison frondeuse de cette adaptation et la mise en scène, Ariel Garcia-Valdès pour un duc de Gloucester d’anthologie. Carmelo Bene et Georges Lavaudant ont distillé cette tragédie pour en extraire tout le suc amer, le venin épais. La dernière nuit d’un roi avant la bataille qui le verra tomber de cheval et de son trône. Une nuit fatale où Richard le boiteux, le mal aimé, réécrit son histoire, rejoue sa vie, dans une vertigineuse mise en scène et réinvention de soi, aliénée et obsessionnelle. Fragments épars, éclatés, mis en abyme, rassemblés et cousu main, pour un dernier banquet funèbre et désormais sans convive, rien que des verres à demi-plein, à moitié vide, des fantômes. Superbe et glaçante scénographie spectrale et dépouillée de tout. Georges Lavaudant invente des scènes entre chien et loup, pleines de bruits étouffés et de fureurs glacées, de dialogues chuchotés, traversées de fulgurances brutales, d’une beauté rêche et prégnante. Scènes coagulées les unes aux autres, de la tragédie, de cette fresque ne restent que lambeaux, souvenirs déchirés, incomplets, racontés par ellipse dans la fièvre d’un cerveau exalté par son destin bientôt achevé. Georges Lavaudant joue des contrastes. Images stupéfiantes à vrai dire, pleines de poésie baroque et surréaliste, ce qui peut être la même chose, et puis soudain austères, d’une sécheresse âpre et coupante. La réalité ne cesse de se diluer et de se recomposer dans les méandres d’une pensée devenue aveugle et folle. C’est cette pensée-là, déliée, chaotique parfois, que met en scène avec bonheur Georges Lavaudant. Une pensée qui substitue à la réalité devenue simple reflet lointain d’un monde aboli la sienne propre, son délire. Et le théâtre pour révélateur. Reines folles et automates, pantins pour danses mécaniques, poupées soudain désarticulées, secouées de larmes ravalées, de dégoût craché, séduites comme et pour une ultime mise à mort. C’est autour des figures féminines que s’articulent aussi la folie et la prise de pouvoir de Richard III. Marguerite sa mère, la reine Elisabeth et Lady Anne. Folles de douleur, de chagrin, de rage. Enjeu, témoins et victimes lucides et impuissantes d’un pouvoir sanglant usurpé, d’un monstre. Il y a quarante ans, c’était hier, Ariel Garcia-Valdès créait ce rôle. Il le reprend aujourd’hui. Il y est prodigieux. Lui aussi a distillé son rôle, n’en donnant que la quintessence absolue, celle du mal, sans effet, sans éclat ou si peu. Un rictus pour sourire et la peur glace le plateau et la salle. Une scène, une seule pour exemple, petite scène presque banale d’ivresse ou Richard III demande des fraises, scène répétée en boucle mais avec d’infimes variations, donne toute la mesure de ce comédien. Une leçon de théâtre.
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La rose et la Hache, mise en scène et lumière de Georges Lavaudant
D’après William Shakespeare
Adaptation de Carmelo Bene
Avec Astrid Bas, Babacar M’Baye Fall, Ariel Garcia-Valdès, Georges Lavaudant
Traduction Jean-Paul Manganaro et Danielle Dubroca
Décor, costumes, accessoires Jean Pierre Vergier
Son Jean-Louis Imbert
Maquillage, coiffures, perruques Sylvie Cailler et Jocelyne Milazzo
Chorégraphie Jean-Claude Gallota
Du 16 au 19 mai 2019 à 21h,
Le 20 mai 2019 à 17h
Théâtre Gérard Philipe
Centre dramatique national de Saint Denis
59 bd Jules Guesde
93200 Saint Denis
Réservations 01 48 13 70 00
Dans le cadre de l’invitation à Georges Lavaudant, Le Rosaire des voluptés épineuses de Stanislas Rodanski est également donné du 17 au 19 mai 2019.
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