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La rose de Jéricho, de Magda Kachouche, Le Pavillon, Romainville, dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

Mai 21, 2024 | Commentaires fermés sur La rose de Jéricho, de Magda Kachouche, Le Pavillon, Romainville, dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

 

© Compagnie Langue Vivante

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

C’est un chagrin « Chagall » que cette rose de Jéricho, résistante, lumineuse, iconoclaste, foutraque et folle. La peau de ce spectacle est tendue sur les os blanchis de nos douleurs et de nos défunts par cette énergie fabuleuse que l’on associe bizarrement au désespoir. Nos pertes, ainsi parle-t-on par euphémisme comme si l’on était à la bourse, forment la nappe invisible qui irrigue en profondeur nos vies. Et vice-versa. Larmes de peine, larmes de joie, larmes de crocodile : elles sont la goutte d’eau capable de faire déborder le vase où s’ennuient nos morts. Cette peau de chagrin, entre les mains de Magda Kachouche et de ses partenaires de jeu, Gaspard Guilbert, Alice Martins et Bia Kaysel, n’est pas une réduction, mais une extension du domaine de la lutte, à la vie à la mort, elle brille des couleurs d’un Chagall, vraiment, elle est feu, bien plus que feu-follet. Magda Kachouche en est la maîtresse de cérémonie, accueille le public au micro, filtre « vocodeur » en place, processant cette étrange distorsion de la voix qui renvoie autant à une certaine musique actuelle, festive, vitaminée, qu’à la possibilité d’une disparition même de l’humain.

La rose de Jéricho manie les codes, les rituels, les secoue tels des osselets. Faire œuvre de résurrection, à l’instar de la rose de Jéricho connue pour sa capacité à revivre après plusieurs années de sécheresse dès la première goutte d’eau, est de l’ordre de l’insurrection, fortement mobilisatrice de ses acteurs comme du public. La performance engage corps et âme, nous rappelle au caractère démiurgique du dire et du faire. Dans ce cabaret sauvage il y a finalement un peu de l’esprit de la fête des morts mexicaine. La mort ne peut s’envisager que caricaturale, comme un dévoiement grotesque du vivant : la pièce n’hésite pas à emprunter au catch ou au grand guignol pour leurs puissances d’exagération des signes du drame. En même temps, elle ose suivre une ligne cicatricielle beaucoup plus ambiguë et troublante, comme une amarre à une affliction bien réelle : ligne de vie où la douleur peut affleurer comme un affect sincère quand bien même il serait produit et détouré à la façon d’un artefact. C’est à cet endroit précis que le spectaculaire se fait spéculaire, offrant à chacun le miroitement de ses propres peines, de ses propres égarements quand on est enfin la chienne de sa peine.

Par son exubérance entrelacée au néant, La rose de Jéricho est profondément baroque. L’affliction y devient une fiction. L’encens n’est plus une offrande versée à Dieu, mais une fumée de scène révélant des faisceaux lasers. Les larmes sont des paillettes qui brillent même dans l’obscurité, produisant un regard humide de bon aloi. Dans cette invention, dans cette folie si jouissive, les pompes funèbres révèlent leurs pompes. Et à l’épuisement des corps endoloris de désolation répondra le festin roboratif des corps enlacés, comme si le vide qu’engendrent les disparus devait être rempli par d’autres chairs. La vie, comme une chenille aux innombrables anneaux. La vie, comme un bouche trou, jusqu’à la gueule ouverte de la tombe.

 

© Compagnie Langue Vivante

 

La rose de Jéricho, conception de Magda Kachouche

Collaboration artistique et interprétation : Gaspard Guilbert, Magda Kachouche, Alice Martins et Bia Kaysel

Création sonore : Gaspard Guilbert

Création lumière et régie générale : Bia Kaysel

Création costumes : Alexia Crisp Jones, assistée d’Augustine Salmain

Collaboration à la dramaturgie : Arnaud Pirault

Collaboration à l’écriture chorégraphique : Marion Carriau

Accompagnement vocal : Elise Chauvin

Stagiaire : Léa Sabran

Durée : 75 minutes

 

Les 16 et 17 mai 2024 à 20h30

 

Le Pavillon

28, avenue Paul-Vaillant-Couturier

www.ville-romainville.fr

Tél : 01 49 15 56 53

 

Dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

www.rencontreschoregraphiques.com

 

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