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La réunification des deux Corées, de Joël Pommerat, Anthéa, Antibes

Mar 22, 2025 | Commentaires fermés sur La réunification des deux Corées, de Joël Pommerat, Anthéa, Antibes

 

 © Elisabeth Caricchio
 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier

Anatomie d’une chute.

C’est ainsi que l’on pourrait sous-titrer La réunification des deux Corées, si le titre n’était déjà pris. Dès lors, autopsie de l’échec amoureux pourrait convenir aussi. « On s’aime, mais cela ne suffit pas »… Un truisme ?

Cette création théâtrale, au titre d’abord énigmatique avant de révéler sa signification métaphorique oxymorique, tourne depuis plus de 10 ans (après avoir été créée aux Ateliers Berthier de l’Odéon en 2013) et a déjà été vue trois fois, avant les représentations antiboises, par les chroniqueurs du Fauteuil, sans doute parce que les spectacles de Joël Pommerat n’en finissent pas d’interpeler au fil des saisons, dans des registres pourtant si divers (des contes au récit révolutionnaire Ça ira (1) Fin de Louis, en passant par l’incroyable L’Inondation et autres).

La réunification des deux Corées plonge dans la complexité des relations interpersonnelles, amoureuses en particulier, qui est un thème évidemment inépuisable. Barthes nous avait proposé ses Fragments du discours amoureux, Bergman ses Scènes de la vie conjugale, Pommerat nous offre ses propres variations, en forme de saynètes, autour du désir, du manque, des pulsions, de la rupture et la séparation, des fantasmes, de l’érotisme, des mensonges et des apparences, de la tendresse dans toutes leurs contradictions…

Une femme souhaite le divorce au bout de 20 ans de mariage sans histoire, sans dispute mais sans amour, un couple se déchire au sujet du choix de partir à la guerre de leur unique enfant, une femme internée ne se souvient ni de son mari, ni de ses enfants, une autre confie au médecin de famille, avant de l’embrasser fougueusement et irrépressiblement, se marier prochainement après le décès de son père, une prostituée amoureuse est en perdition à l’annonce de son client d’arrêter ses visites…

Le bilan de tous ces instantanés est que les déchirures amoureuses et même amicales ne peuvent jamais être comblées et encore moins magnifiées par un kintsugi géant que l’on peut imaginer matérialisé par les couloirs de lumières qui se dessinent sur scène et dans la travée horizontale basse de l’Anthéa. On doit d’ailleurs souligner la beauté du travail vidéo de Renaud Rubiano, qui avait déjà signé les créations de Cendrillon et Pinocchio de Pommerat, en harmonie totale avec le travail scénographique et de lumière splendide d’Eric Soyer. Comme une frontière étanche donc, infranchissable, rendant la « réunification » des deux Corées non seulement illusoire, mais vaine.

Si plusieurs de ces saynètes abordent les écueils universels des relations amoureuses avec justesse et un humour grinçant, voire avec une cruauté qui dépasse parfois (la scène du pendu) le cynisme général et que l’on peut, partant, s’étonner des rires abondants dans le public antibois, l’inconfort nait aussi paradoxalement, de ce que l’accumulation et la rapidité dans la succession des histoires (20) dont certaines semblent superflues ou redondantes, finissent par affadir le propos central. Mais surtout, et malgré l’énergie formidable des comédiens, quand bien même l’on peut éprouver du vécu dans telle ou telle situation ou dialogue, ce qui est étrange c’est que l’on ne se sent jamais touché au cœur, le malaise ne va pas jusqu’au bouleversement intérieur. C’est peut-être tant mieux ou pas…

 

© Elisabeth Caricchio
 

La réunification des deux Corées, écriture et mise en scène de Joël Pommerat

Scénographie et lumière : Eric Soyer

Costumes : Isabelle Deffin

Accessoires : Thomas Ramon

Vidéo : Renaud Rubiano

Habilleuse : Claire Lezer

Perruques : Julie Poulain

Son : Philippe Perrin

Musique originale : Antonin Leymarie

Musique enregistrée par Joachim Florent (basse / contrebasse) ; Jean Philippe Feiss (violoncelle) ; Guillaume Magne (basse / guitare) ; Gérald Chevillon (clarinette basse / sax) ; Guillaume Dutrieux (voix dans tuba / trompette) ; Mathieu Ha (voix de celui ou celle qui chante – rôle interprété par Agnès Berthon) ; Jeanne Added et Thomas de Pourquery (autres voix)

Assistants à la mise en scène : Garance Rivoal, Lucia Trotta, Pierre-Yves Le Borgne

Avec : Saadia Bentaïeb, Ella Benoit, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Philippe Frécon, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu

 

18 au 20 mars 2025

Durée : 1h50

 

Anthéa

260, avenue Jules Grec

06600 Antibes

Réservations : www.anthea-antibes.fr

 

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