À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // La réponse des Hommes, de Tiphaine Raffier, Théâtre Nanterre-Amandiers

La réponse des Hommes, de Tiphaine Raffier, Théâtre Nanterre-Amandiers

Jan 26, 2022 | Commentaires fermés sur La réponse des Hommes, de Tiphaine Raffier, Théâtre Nanterre-Amandiers

 

© Simon Gosselin

 

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

C’est à un vrai grand spectacle de théâtre contemporain que l’on assiste dans le théâtre provisoire Nanterre-Amandiers qui offre un refuge de choix à La réponse des hommes, spectacle étonnant de perfection, complétude, maturité et plus encore quand on réalise que sa jeune autrice et metteuse en scène n’en avait produit que quatre autre auparavant. On ne sait si beaucoup de changements ont été opérés depuis son report dû à l’annulation du Festival d’Avignon en 2020 en raison de la crise de la Covid et qui a transféré sa création au Théâtre national de La Criée à Marseille en décembre 2021 et à sa reprogrammation hors les murs par le théâtre de l’Odéon.

Il ne faut pas plus d’une minute pour être happé par La réponse des hommes et ne pas décrocher jusqu’à la fin en dépit de l’entracte dont on se serait bien passé comme spectateur, mais dont on comprend la nécessité pour les comédiens, toute la distribution étant presque toujours au complet pendant trois heures de plateau.

Tiphaine Raffier avec cette pièce qui porte pour sous-titre (dans sa version publiée par L’Avant-scène théâtre) Variation sur neuf œuvres de la miséricorde, s’est donc inspirée de ces actions que doivent accomplir les chrétiens dans leur vie quotidienne, pour finalement proposer dans l’esprit du Décalogue de Kieslowski, neuf spectacles en un seul, tous aussi surprenants et haletant les uns que les autres, réunis par un fil rouge ou plutôt des énigmatiques reproductions de fractales en noir et blanc et le retentissement de sirènes (type incendie) qui ont du sens ou délivrent leur sens dans la dernière scène du dernier opus.

Ce spectacle est impressionnant sur tous les plans.

Sa source d’inspiration aurait pu être un handicap et l’idée d’en faire une épopée modernisée était périlleuse. L’utilisation qu’elle en fait opère au contraire de manière bluffante.

L’écriture est rythmée, précise, brillante sur différents registres, valorisée par l’appropriation qu’opèrent les comédiens, tous exceptionnels individuellement et collectivement. Leurs singularités ont été parfaitement mises en valeur par une direction d’acteurs réussie et une harmonie se dégage de toutes leurs interactions.

L’accompagnement musical (cor, violoncelle, piano et percussions) et vocal (Miserere de Scarlatti) avec les talentueux musiciens de l’ensemble Miroirs Etendus, qui aurait pu être artificiel, magnifie chaque « œuvre » en étant toujours à la juste place.

La mise en scène (et la scénographie) qui évolue constamment, avec une utilisation décroissante de l’outil vidéo au fil des tableaux, est efficace et inventive et contribue à tenir le spectateur constamment en haleine, à la fois parce que les images produites sont fascinantes (la scène du prologue de la couronne de fleurs vissée sur la tête de Mme Serra est prodigieuse ; la référence au tableau du Caravage est à la fois adroite et traitée avec humour) et qu’elles ne cessent parallèlement d’interroger le spectateur-être humain qui ne s’était peut-être jamais ainsi interrogé sur ce qu’est pour lui la miséricorde. Accueillir les étrangers, nourrir les affamés, prier pour les vivants et pour les morts, donner à boire aux assoiffés, vêtir ceux qui sont nus, visiter les prisonniers, assister les malades, ensevelir les morts, et sauvegarder la création sont les neuf « chapitres » retenus par Tiphaine Raffier parmi les quatorze Œuvres (sept corporelles et sept spirituelles) que comptent ces commandements faits aux croyants de religion chrétienne s’appuyant sur les indications évangéliques et récemment rappelées par le Pape François. A chaque œuvre est associée une situation réaliste (une mère dans une unité de maternologie ; un visiteur de prison ; une distribution de cadeaux de Noël en famille ; un procès militaire ; une conférence musicologique savante…) qui cache toujours une espèce de double contraire, ou la face sombre de chaque situation ou personnage et qui place toujours des vies en concurrence (le bébé/les camps de réfugiés ; Diego en attente de greffe/tous les autres ; pédophile en traitement expérimental/malades à l’hôpital) pour poser une question morale (et/ou éthique) fondamentale : toutes les vies se valent-elles ? La question a depuis longtemps été débattue en théologie et en philosophie, mais elle résonne ici en plus avec l’actualité, sans que le clin d’œil soit trop appuyé dans le contexte de l’hôpital : peut-on faire un choix, un arbitrage et sur quel(s) critère(s) entre des êtres humains qui ont tous besoin de soin, de secours ? Quelle place ou marge de manœuvre la miséricorde prend-elle ? Quel est le sens de cette miséricorde envers autrui ? La compassion, la nécessité du pardon, l’illusion de racheter ses propres fautes, le refoulement du jugement, le pari pascalien, la peur du châtiment divin ?

Mais la miséricorde ne commence-t-elle pas par soi-même ?

Il est finalement question de notre humanité, à entendre au sens large, mais aussi individuel. Que nous reste-t-il de cette humanité sensée nous définir et conduire chaque jour nos vies, nos choix de vie individuels et collectifs de croyants ou de non croyants ?

On quitte le théâtre un peu secoué, en ruminant cette formule : « Nous sommes désolés ».

 

© Simon Gosselin

 

La réponse des hommes, texte et mise en scène, Tiphaine Raffier

Dramaturge / assistant à la mise en scène : Lucas Samain

Musique : Othman Louati

Chorégraphe : Salvatore Cataldo, Pep Garrigues

Scénographie : Hélène Jourdan

Vidéo : Pierre Martin

Lumière : Kelig Le Bars

Son : Hugo Hamman

Costumes : Caroline Tavernier

Avec : Sharif Andoura, Salvatore Cataldo, Éric Challier, Teddy Chawa, François Godart, Camille Lucas, Édith Merieau, Judith Morisseau, Catherine Morlot, Adrien Rouyard et les musiciens Guy-Loup Boisneau Émile Carlioz Clotilde Lacroix (en alternance avec) Amélie Potier Romain Louveau

 

 

Durée 3 h 20 (avec entracte)

Jusqu’au 28 janvier 2022

A 19 h 30

 

Théâtre Nanterre-Amandiers

Théâtre éphémère

7 avenue Pablo-Picasso – 92022 Nanterre

www.nanterre-amandiers.com

 

Be Sociable, Share!

comment closed