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La Place Royale, mise en scène de François Rancillac, théâtre de l’Aquarium

Jan 08, 2015 | Commentaires fermés sur La Place Royale, mise en scène de François Rancillac, théâtre de l’Aquarium

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Alidor aime passionnément Angélique. Mais il lui faut se débarrasser de cet amour au profit de sa liberté, de son libre-arbitre et de son intégrité. Cléandre, son ami, lui avoue aimer aussi Angélique. Pourquoi ne pas lui céder alors ? Par le stratagème d’une fausse lettre d’amour tombée dans les mains d’Angélique, Alidor provoque la rupture. Mais Phyllis, l’amie d’Angélique, pousse son frère Doraste dans les bras de celle-ci. De chagrin et par vengeance Angélique accepte de l’épouser. Mais pour Alidor c’est Cléandre qui doit épouser Angélique ! Il se réconcilie avec elle, la culpabilise. Et promet de l’enlever le soir de ses fiançailles. Angélique cède et promet de s’enfuir. Sans savoir que c’est Cléandre qui doit l’emporter hors de la vue d’Alidor. Seulement il y a erreur sur la personne, c’est Phyllis qui est enlevée promptement. Angélique ne comprend pas alors pourquoi Alidor est à ses côtés quand surgit un Doraste furieux lequel a compris qu’Angélique devait s’enfuir avec Alidor et que sa sœur vient d’être enlevée à sa place. Au matin Cléandre ramène Phyllis et la convainc de son amour. Phyllis accepte de l’épouser. Doraste répudie Angélique qui, décillée, repousse Alidor et entre au couvent. Alidor est enfin libre. Définitivement.

f71c87957990fef83669e52a4ac92cd0© Photographe Christophe Raynauld De Lage

François Rancillac nous épate franchement. D’une pièce de Corneille peu jouée il est vrai, complexe et délicate, tout à la fois d’une préciosité et d’une violence aigüe, il offre un moment de théâtre rare et follement jubilatoire. Sur un plateau nu et parqueté que recouvre au premier acte un tapis de cendre, la langue singulière de Corneille, sa richesse inouïe, s’envole et se déploie en majesté, avec virtuosité. C’est une carte du tendre brouillée par les pleurs et la rage où la cruauté des sentiments, les paradoxes de l’amour, se heurtent au désir fondamental de la liberté individuelle. Cette langue-là est tout à la fois précieuse et charnelle. C’est une joute verbale qui anime et met en branle bientôt les corps. Corps qui se cherchent, se heurtent, s’embrasent, se repoussent. Corps impatients animés par la passion, habités par un désir paradoxal de liberté. C’est d’une sensualité qui affole et d’une violence qui trouble. C’est drôle aussi, il faut le dire. La langue de Corneille ici se fait chair, s’incarne vraiment et trahit le discours qui se veut raison et raisonnable. Corneille pousse les situations à leur paroxysme, se joue de la théâtralité, ce que François Rancillac souligne avec beaucoup de malignité. Mais mieux encore il démontre combien Corneille est d’une modernité étonnante, loin d’être compassé, et d’un dynamisme détonnant. Les sentiments comme les personnages s’emballent et rien ne semble pouvoir arrêter ce tourbillon qui aspire chacun vers un destin contraire à ses vœux. C’est cette contradiction propre à chacun, cette friction des contraires, qui entraîne le mouvement de l’ensemble. Cette dynamique-là François Rancillac la souligne et même l’impulse par une direction d’acteur comme toujours exigeante et sûre. Chaque personnage est dessiné avec ses pleins et ses déliés, poussé dans leurs retranchements extrêmes, sans jamais rien occulter des contradictions, de la violence et même de la perversion des situations qui ne cessent de se retourner de façon imprévisible. Ce qui frappe est l’engagement total de chacun des acteurs sur le plateau. Et combien de cette langue ils font l’instrument d’une pensée redoutable de précision qui finit par engager le corps. Respectant l’articulation propre au siècle de Corneille ils réussissent à lui offrir une modernité et une vivacité étonnante. La sobre scénographie de Raymond Sarti permet cette juste circulation et de la parole et des corps où rien ne fait obstacle à la pensée ici radicale de Corneille qui occupe ainsi tout l’espace. François Rancillac orchestre toute cette déambulation avec clarté et rend l’ensemble léger mais empreint d’une sourde gravité qui finit par emporter tous les personnages. Et si au final tout n’est plus que cendre pour Angélique, stupéfiante dernière image, si la catastrophe prévisible amène au dénouement voulu pour Alidor, cette liberté désormais amère, nous traversons cette Place Royale avec un sentiment d’euphorie. Celle de redécouvrir Corneille. Loin de tout cliché, dépoussiéré, enfin dépouillé de toute affectation. Humain, ô combien.

La Place Royale de Pierre Corneille, mis en scène de François Rancillac
Dramaturgie Frédéric Révérend
Assistants stagiaires à la mise en scène Joséphine Comito et Edouard Elvis Bvouma
Scénographie Raymond Sarti
Lumières Marie-Christine Soma
Costumes Sabine Siegwalt
Maquillage et perruques Catherine Saint-Sever
Son Frédéric Schmitt
Régie générale Marie-Agnès Anselme
Avec Christophe Laparra, Hélène Viviès, Linda Chaïb, Assane Timbo, Nicolas Senty, Antoine Sastre

Théâtre de l’Aquarium
La Cartoucherie
Route du champ de manœuvre
75012 Paris
Du 3 janvier au 1er février 2015 à 20h30. Le dimanche à 16h
Réservations 01 43 74 99 61
theatredelaquarium.com

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