© Bertrand Stofleth
ƒƒƒ article de Sylvie Boursier
C’est merveilleux le théâtre, on passe son temps à relier des bouts de nos vies, à coudre un immense patchwork, des morceaux de choses vues, des bribes entendues, des images flottantes, des confidences, des mots fantômes. L’important est le liant, la barbotine qui colle l’ensemble, et si la greffe réussie, tout s’assemble.
Ce vase ébréché, cette cloche fêlée est un prêtre, le père Guérin, homosexuel privé de paroisse, qui a reçu dans le secret de la confession la parole de Morgan, un enfant victime de viols et celle de son agresseur le père Grésieux. Celui-ci lui avoue, sans détour, ses agissements pédocriminels, comme il l’avait déjà fait auprès de son supérieur, le cardinal Millot. Décidé à lever l’omerta, le père Guérin y renonce suite à une entrevue avec le père Millot qui lui propose une nouvelle paroisse contre son silence lors de l’audience. Lors du procès il reste suffisamment flou pour noyer le poisson. Quelques années plus tard, la victime vient le harceler pendant l’office et l’accuser d’un silence mortifère. Contre toute attente, un dialogue va s’engager entre eux sans tabou, qui transformera à jamais les deux hommes, sur un fil dialectique entre foi et désir, institution et éthique, relation au monde et à Dieu.
Drôle d’objet que La Peur, un thriller métaphysique sur le mal en l’homme qui plonge son narrateur dans une nuit intérieure, une méditation souterraine sur le choix moral, la responsabilité individuelle et le destin. François Hien est minimaliste, il montre ce que les autres cachent, comment s’enfermer pour mieux s’ouvrir, laisser l’accumulation des choses du monde et concentrer son élan vital sur presque rien, quelques objets, assiettes, repas et fruits partagés. Le public communie sur ces choses simples, dans une mise en scène qui restitue l’expérience spirituelle au-delà du dogme.
Le plateau, sur fond marron-gris, a quelque chose d’un studio photos avec des tabourets et des bancs ; son dépouillement, éminemment théâtral, sied à la cure autour d’une grande table qui fera office d’autel. Mais la mise en scène, bénéficie d’un montage de cinéma original, les plans se succèdent sous forme de séquences qui s’assemblent en fondu enchaîné, l’entretien avec l’évêque, les rencontres avec Morgan, le dialogue du Père Guérin avec sa sœur.
Il faudrait savoir dire la grâce du religieux joué par l’excellent Arthur Fourcade (mais c’est aussi difficile que d’évoquer le mystère de la vocation) ses sourires à peine esquissés, ses mains, errants sans but ou levées pour l’office, ses épaules affaissées qu’on aimerait soutenir, autant d’éléments d’une vie profonde, miraculeuse, grandiose et minuscule qui se refuse aux mots. Le vif argent Pascal Cesari, fait mouche à chaque apparition, fin débatteur, il réussit même à nous faire rire, sur un sujet pareil ce n’était pas donné. Estelle Clément Bealem, dans le rôle de la sœur, amène sa lecture clairvoyante des situations et des êtres. Marc Jeancourt est ce cardinal jésuite pour lequel il faut dire la vérité mais pas toute.
La Peur. Penser contre soi-même, oser le conflit, débattre, le miracle, exempt de surnaturel, tient dans ce rapprochement inattendu entre deux personnes que tout oppose.
« J’essaie d’unifier ma vie. Mais choisir sa pureté plutôt que les devoirs qu’on doit à l’autre, c’est un grand péché » dit le prêtre, qui reconnaît être tout aussi coupable que son évêque. Aucun personnage n’est totalement innocent ou fautif, tous révèlent des failles, des stéréotypes comme des remparts face aux autres. Accepter ses fêlures fera tomber les barrières. Quatre valeureux acteurs samouraïs sur un dojo en tri frontal, ce théâtre a quelque chose de mystique, l’Eglise n’a rien à voir là-dedans. Allez les voir !
© Bertrand Stofleth
La Peur, texte de François Hien, publié aux éditions Théâtrales
Mise en scène : Arthur Fourcade, François Hien
Scénographie : Anabel Strehaiano
Costumes : Sigolène Petey
Lumières : Nolwenn delcamp-Risse
Avec : Estelle Clément-Bealem en alternance avec Laure Giappiconi, Ryan Larras en alternance avec Kadiatou Camara, Pascal Cesari en alternance avec Mikaël Treguer, Arthur Fourcade, Marc Jeancourt
Durée : 2h
Jusqu’au 16 février 2025, du mardi au samedi à 20h30, dimanche à 16h30
Cartoucherie, Théâtre de la Tempête
Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
Réservations :
01 43 28 36 36
www.la-tempete.fr
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