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« La Petite Soldate Américaine, conte sans fée mais avec moralité », de Jean-Michel Rabeux, à La Maison des Métallos

Déc 03, 2014 | Commentaires fermés sur « La Petite Soldate Américaine, conte sans fée mais avec moralité », de Jean-Michel Rabeux, à La Maison des Métallos

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

petite_soldate-2 © Ronan Thenadey

Pan ! Clic ! La petite soldate américaine chante. En tout temps, en tous lieux. Elle ne pense à rien, elle chante. Et puis un jour elle perd sa voix. Elle part alors à la guerre, elle fait la guerre tout bien. Elle tue aussi. Pan ! Et sa voix revient. Alors elle chante. Elle torture. Elle chante. Elle tue. Pan ! Elle photographie aussi. Clic ! Souvenirs pour sa famille restée au pays et qui rit de tant de tortures. Mais un jour ses chefs rentrent chez eux. Alors elle est toute seule avec ses ennemis. Qui la torturent et l’obligent à chanter pour ne pas mourir. Mais elle est presque morte quand même. Mais ses chefs reviennent et au pays la condamnent à mort. Pas pour avoir tué, ni torturé, non ça c’est son métier, mais parce qu’elle a photographié et que maintenant tout le monde sait les horreurs de la guerre. Alors elle chante. Et elle meurt.

C’est un conte. Un conte politique. Ça commence par  « il était une fois ». Mais la morale est glaçante qui reste en suspens. Parce que nous sommes au théâtre et que le théâtre dans sa fonction interroge et ne conclut pas. Au commencement était cette image d’une jeune recrue américaine tenant en laisse des prisonniers dénudés, torturés. Elle est là, cette image. Pas sur le plateau, non. Mais dans nos têtes, gravée, pour qui a vu l’insoutenable et le scandale. Jean Michel Rabeux écrit un conte et comme dans tous les contes, les vrais, aborde avec une simplicité désarmante le pire. C’est raconté avec douceur et ça fait franchement peur. La petite soldate est toute menue, fragile. Ce n’est pas un monstre avec son air buté, presqu’absente à elle-même. Corine Cicolari est formidable dans cette composition qui la fait apparaître évidée de tous sentiments apparents. Totalement énigmatique et troublante, c’est un masque neutre qui nous renvoie à nos émotions contradictoires. Elle chante et ne pense à rien. Elle tue et ne pense à rien. Elle meurt et ne pense à rien. Seulement à chanter encore. A quoi l’on songe, nous ? A Hannah Arendt et « la banalité du mal ». Car ce que Jean-Michel Rabeux met en évidence c’est bien cette banalité-là qui de chacun d’entre nous peut voir surgir le pire. Et le pire se retourner contre soi. Mais rien de démonstratif pour autant. Simplicité du récit, simplicité heureuse de la mise en scène. Pas de décor. Juste une cage en fer pour mémoire et qui ancre fortement ce conte dans la réalité. Car tous les contes ont une part de réalité. La plus inavouable. Et un chêne au lointain. Parce que comme dans tous contes il y une part de rêve aussi et dans l’horreur parfois une étincelle d’humanité. Ce chêne du Missouri auquel rêve la petite soldate, et au pied duquel elle sera jugée, est sans nul doute cette petite étincelle qui la relie encore à nous. Et c’est encore plus terrifiant. Ou incompréhensible. Jean Michel Rabeux épure sa mise en scène, pas de grands effets inutiles, sans renoncer à la théâtralité. Par cette économie de moyens il n’y a plus d’obstacle entre la densité, la force du récit confié au conteur et nous. Et c’est terriblement juste. C’est cruel, c’est violent, c’est drôle aussi. Jean-Michel Rabeux manie l’ironie amère et l’humour noir. Que chante donc la petite soldate torturée à son tour ? Un texte de Janis Joplin violemment antimilitariste. Et sur la chaise électrique ? it’s a wonderful world. Pan !

La Petite Soldate Américaine, conte sans fée mais avec moralité
Texte et mise en scène de Jean-Michel Rabeux
Avec Corine Cicolari et Eram Sobhani
Peinture, Bérangère Vallet
Musiques, Guillaume Bosson
Régie générale, Denis Arlot
Assistanat à la mise en scène (en alternance) Geoffrey Coppini et Vincent Brunol

Maison des Métallos
(dans le cadre de la programmation Femmes et Violences.)
94, rue Jean-Pierre Thimbaud
75011 Paris
Du 2 au 54 décembre à 20h / Le 6 décembre à 19h / Le 7 décembre à 16 h

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